vendredi 18 mars 2011

''Les raisonnables ont duré. Les passionnés ont vécu''.





Ensemble de notes prises pendant mon voyage en Patagonie. Phrase piquée à Alain Chamfort. Petite sélection de photos, la 1ère sur la cuisine de Simon, les autres sur le bateau la Pincoya. La suite du récit devrait être publiée au cours de trois, sinon quatre articles. Je note, à la relecture, que mon style est très... enflammé, mais j'imagine qu'il correspond aux sentiments ressentis dans ces moments précis. J'ai donc décidé de laisser le texte quasi tel quel.


Samedi 12 février 2011.

Départ. Valparaiso. 18h.

Sentiment de liberté. Plus exactement de délivrance. Après deux mois d'expériences journalistiques frustrantes, je quitte finalement Valparaiso. Direction le sud. Au revoir et abrazos rapides aux derniers courageux restés à Valpo, je laisse mon appartement, et je trace la route. J'ai pour tout bagage un sac de bidasse sur le dos, qui croule sous une tente et un nombre de livres dont j'aurai honte de révéler ici le nombre, ainsi que mon inestimable et encombrante guitare, que je ne puis plus quitter, ne serait-ce que le temps d'un mois. Soleil de plomb. Je ne sais pas réellement où je vais, je ne connais pas plus les noms des villes que ceux des régions que je m'apprête à découvrir, et je ne sais même pas si j'ai les thunes pour le faire. J'ai pris un billet direct pour Puerto Montt, ville à la lisière de la Patagonie, située à 1000 et quelques kilomètres de Valparaiso. Je me pose dans le terminal, je sors ma guitare, et massacre des chansons de Molotov ou de Cat Stevens. Rien qu'en déballant mon maigre répertoire, je me sens vivant. Une fois dans le bus, les paysages commencent à défiler, et je m'en balance un peu. Je ressens simplement une envie irrésistible, inexplicable, d'être loin, d'aller loin. La nuit tombe le pays, les petits villages s'enchaînent, les films de merde également. Avec difficulté, je m'endors la joue posée contre la vitre.



Dimanche 13 février.

Puerto Montt. 11h. Allemagne... ou plutôt Chili... enfin, je crois.

Après quatorze heures de voyage, j'ai le dos en vrac, l'esprit embrouillé, les pieds à l'agonie. Je commence très sérieusement à croire que les producteurs de Pirates des Caraïbes ont passé un accord secret avec les chauffeurs de bus pour débiliser nos p'tites têtes blondes, sans doute trop intelligentes. Voir passer quatre heures de film d'action bas-de-gamme, non-réalisé, avec des acteurs pathétiques, en y ajoutant les doublages dégueulasses proposés par quelques acteurs latinos coincés dans un studio mexicain miteux, avait vraiment de quoi me foutre en rogne. Je me pose sur la place la plus proche, commençant à gratouiller en regardant passer les locaux. En fait, je contemple plutôt ce qui ressemble à une véritable colonie de peuplement germanique. De grands hommes aux cheveux blancs, la peau claire et la panse en avant, accompagnent des femmes d'un certain âge portant des robes sophistiquées, en remettant leur chevelure blonde en arrière. Les restos du coin, en tout cas certains, vous proposent leurs spécialités locales. Comme par exemple des strüdels. Ouaip. Dans cette Alsace américaine, je n'ai pourtant guère le temps de m'attarder, et encore moins de visiter. J'achète à la va-vite un billet vers Ancud, la première ville de l'île de Chiloé, située à quelques dizaines de kilomètres au sud. Je monte dans un bus, qui lui-même grimpe dans un bateau. La traversée est extrêmement courte, mais ces vingt petites minutes me font un grand effet. L'archipel m'ouvre ses bras. Sur le pont, je frissone en regardant s'éloigner le continent. J'en viens à m'éblouir de ce vent de liberté qui semble temporairement souffler sur mon existence.


15h.

J'arrive au cœur d'un petit port calme, charmant, presque endormi. Ancud. Je rejoins Simon, emmitouflé que je suis dans un manteau ''emprunté'' à un pote allemand. Dans un hospedaje situé en amont de la ville, je pose mes bagages dans une petite chambre pleine de charme, située dans une maison qui, elle, en a un peu moins. Ces quelques mètres carrés donnent une vue directe sur la mer. On se croirait vraiment dans une cabine de bateau. Pas un ustensile de cuisine à l'horizon, mais de la tranquillité, semble-t-il, et de la joie (ce sera en réalité, le cas de le dire). Vanné par mon voyage, émerveillé par le paysage, la journée est un brin oisive. Rapide découverte de la vie nocturne du port, qui ferait passer un des mes diners de famille dans le Finistère pour une rave party ayant mal tournée, et nous rentrons. Sans plus.


Lundi 14 février.

Ancud.

Vacances, enfin. Rien à faire, ou presque, dans ce port magnifique. Quelques pêcheurs bronzés jusqu'à la moelle reviennent du large à l'heure où je me réveille. La vue sur la mer est vraiment impressionnante. Un p'tit déj' frugal, quelques errances dans les rues désertes, et un vrai repas plus tard, nous nous posons sur le ponton en scrutant le paysage. L'atmosphère est étrangement calme. Je me sens en mode découverte, en mode éblouissement abruti et hébété. Se poser, bouquiner un peu (à la bougie en soirée, por favor), boire quelques bières (Homer Simpson, sort de ce corps) face à un panorama paradisiaque. La ville, paraît-il, organise quelques évènements pour attirer le touriste. Je n'en ai personnellement que foutre. J'apprécie énormément ce moment d'absence totale de responsabilités et d'objectifs. Je ne sais pas où je serai demain. Pour le moment, la vie est délicieuse. Enfin... à ceci près que la maison (un hospedaje est une sorte de chambre d'hôte) dans laquelle nous sommes échoués est... comment le dire sans froisser ma grande-tante malheureusement tombé sur mon blog... Disons qu'avec des doutes le premier jour, et des certitudes le dernier, nous avons pris conscience que cette demeure était aussi le repère de demoiselles de peu de vertu. Une maison de passe pour marins en mal de chair féminine. Pas constamment, bien sûr, nous ne sommes pas abrutis à ce point, mais disons qu'elle faisait office de motel pour des cas... d'urgence. Dans cette atmosphère relativement glauque, je commence à comprendre pourquoi je dois fermer ma porte la nuit, et dormir dans mon propre sac de couchage. Mais, ce qu'il faut souligner, c'est que je suis pauvre, jeune, inconscient, et que j'apprécie ma chambre. Du reste, peu m'importe. Je m'endors la tête orientée vers la mer, en décryptant De Gaulle à la bougie.



Mardi 15 février.

Ancud.

Départ, finalement, pour Castro. Adieu, maison d'accueil de prostituées dans le besoin, et bonjour à la ''capitale'' de Chiloé, située plus au sud, au centre de l'île. Et le moins que l'on puisse dire, est que la ville n'est pas si accueillante que cela. Peut-être la pluie diluvienne tombant sur nos gueules joua-t-elle un rôle dans cette appréciation. Des mochileros (l'équivalent chilien des backpackers, ou sac-à-dos-eurs, si vous préférez), semblent avoir pris possession de la ville. Nous partons vers l'extérieur de la ville, à la recherche d'un camping. Sur le chemin, des maisons sur pilotis, un paysage brumeux, et des Chilotes pas si accueillants. Première expérience de stop assez frustrante. Un mec très sympa nous indique la direction à suivre, et nous fait monter dans un bus. Finalement, nous arrivons ailleurs. Qu'importe, un camping, sans prétentions, certes, nous tend les bras. Nous y plantons nos tentes. Le ''dueño'' (c'est-à-dire le proprio) seul vaut le détour. Un personnage viril, un peu antipathique au premier abord, lugubre, le visage marqué, enchaîne les cigarettes en parlant d'une voix rauque. Dans son antre, un feu au milieu de la pièce, des milliards de petites conneries accrochées aux murs. Il vend son camping avec rudesse, et confiance en lui. ''Ici, c'est sympa''. J'ai l'impression de voir un agent de la Stasi me décrire les prisons est-Allemandes. Enfin, malgré sa froideur, je lui rend ce qui lui appartient, il n'était guère désagréable. L'endroit est finalement assez quelconque. Nous rencontrons nos voisins, un barman santiaguino et sa nana, venus dans le sud pour décompresser et voir un peu de pays. Finalement, les tentatives multiples d'allumer un barbecue sous la pluie suffisent à combler les dernières heures de la journée. Ma tente est trempée, et la moitié de mes bouquins également.


Mercredi 16 février.

Castro.

Lever aux aurores. Déplantage sous la pluie, direction le centre-ville pour se tirer de là. En avalant notre petit déj', assis au coin d'une rue, les passants nous regardent comme des mendiants égarés. Il faut avouer que mon jean, désormais troué en dix-neuf endroits distincts, n'aide pas. Et là, à ce moment précis, alors que nous avalons inconsciemment des petits pains frais, se trame le début, le commencement, du voyage, du vrai voyage. Arrivés dans le terminal, nous ne savons pas où nous allons, ni comment, ni combien de temps. En fait, nous ne savons pas quel jour nous sommes. Et c'est une fois dans un bus pour Tenaun, village perdu parmi les villages perdus, que nous nous rendons compte qu'il faudra être demain... à 17h... à Puerto Montt pour prendre notre bateau vers la Patagonie. Soit environ... 200 kilomètres au nord. En outre, la route qui mène à Tenaun ressemble à ce que devait être celle qui reliait Nuremberg à Munich en 1945 (oui, je suis sur les métaphores allemandes en ce moment, c'est l'effet germanique chilien). Catastrophique. Deux heures de bus, pour parcourir soixante kilomètres, et nous voilà à Tenaun. Calme. Très, très calme. Une église bleue sur l'unique place du village, à quelques mètres d'une mer endormie. Pas un hôtel à l'horizon. Pas de panique, grâce au routard, nous nous crashons dans un hospedaje pas donné mais accueillant. J'ai les chaussures trempées, mon sac-à-dos fait peine à voir. Avec un Butagaz salvateur, je goûte aux fameuses pâtes à la soupe d'épinards de Simon (pour la suite de notre récit, je souligne l'importance de ce plat). Sur la plage, nous faisons les cons. Deux mamies de Santiago viennent faire la causette. Nous disparaissons, et continuons d'errer sur la plage magnifique où se côtoient des bateaux de pêche et un cheval égaré. Le coucher de soleil est bluffant. Au loin, sur la mer toute tranquille, passe un ban de dauphins qui sautent dans le lointain. Juste devant cette belle plage. Le rêve.


Jeudi 17 février.

Tenaun.

Lever 5h. Bus à 6h.

A cause de notre bêtise de la veille, nous devons reprendre le chemin de Puerto Montt aux aurores. Nous n'aurons pas vraiment profité de l'endroit. De retour à Castro, nous montons dans le premier bus venu. Et arrivons vivants à Puerto Montt. La ville grouille toujours autant. Un vrai bon repas, n'incluant ni un paquet de pâtes douteux, ou une soupe en poudre transgénique, suffit à me faire plaisir, même s'il signifie se taper en boucle des infos sur le nouveau film de Justin Bieber, face aux dix-huit télés présentes dans le resto. Je ne sais pas si l'inventeur de l'audiovisuel se rend compte de son crime. Lumière, si tu m'entends, tu as vraiment pourri la vie d'un nombre indécent de personnes, au Chili comme ailleurs. Posés dans le terminal de bateaux, exténués, nous nous apprêtons à partir vers la Patagonie. Il est environ 17h quand nous embarquons sur la Pincoya (nom d'une déesse des légendes chilotes, censée maîtriser les flots et la poiscaille), un tas de ferraille qui devrait nous amener à Chaiten en une dizaine d'heures. Quand le moteur s'enclenche, je ressens une impression totalement grisante. Face à la houle et au vent, je me balade sur le pont du bateau, émerveillé par le spectacle de la ville qui disparaît au large. Une télévision bruyante imbécilise encore les passagers à moitié endormis. Je passe le plus clair du voyage sur le pont du bateau. Le coucher de soleil est cette fois absolument impressionnant. Le voyage est drôle, long, magnifique. A force de contempler la vue, le visage face au soleil, j'ai la peau cramée. Une fois la nuit tombée, nous continuons avec Simon à parler, à déconner, à profiter de cette nuit fraîche et magique. La pleine lune donne à voir un paysage flou et grandiose. Des îles font face au continent, Chiloé est à proximité. Le hic, c'est que nous avions dit à Jorge (mon coloc', pour ceux qui suivent pas) que nous arriverions à Coyhaique le 18 février, en fin d'après-midi. Le soir du 17, nous sommes toujours sur les eaux du Pacifique.


Vendredi 18 février.

Quelque part entre Chiloé et le continent.

Toujours sur le bateau la Pincoya. Paysage de rêves. Îles, montagnes, volcans, falaises, où la trace de l'homme est difficilement perceptible. Des dauphins viennent encore nous saluer (''Puta, que lindo!''). Les passagers s'impatientent. C'est vrai que le voyage est long. Nous avons été retenu, à Ancud, semble-t-il, pendant quelques heures, pour cause de tempête (environ 16h de traversée, finalement). Mais la première vision de la Patagonie est exquise. Inespérée. J'ai trop froid, puis trop chaud, je me sens ailleurs, transporté, sorti de quelque chose. C'était vraiment l'une des plus belles traversées de ma vie. Longue, remuante, puis paisible. Avec cette impression d'un monde de possibilités de paysages et de personnes pour s'offrir à nous. De manipuler toutes ces possibilités. Bien sûr, c'est une illusion, mais qu'importe.


Petit choc en arrivant. Non seulement nous sommes fatigués (j'ai personnellement dormi quatre ou cinq heures), mais la dure réalité vient nous frapper en pleine face. Il est 16h, et il n'y a pas de bus pour Coyhaique. Oups. Le pire. Il n'y a pas non plus bus le lendemain avant 15h, tout en sachant que ce dernier ne fera que... la moitié du voyage. Et qu'il faudra en reprendre un autre, une fois à la moitié, le... surlendemain. La nana de l'office du tourisme nous montre le bus qui passe devant nous en disant : ''c'était le dernier''. Re-oups. Elle ne sait pas que par sa maladresse, elle vient de m'offrir le voyage le plus épique de mon existence. Pour le moment, je ne le sais pas. Nous errons dans la ville en cherchant des solutions. Arrêtons d'ailleurs sur cet endroit singulier. 2008. Eruption du Volcan Chaiten, situé à proximité de la ville (et par ailleurs, terriblement beau). La ville, qui compte alors 11.000 habitants, est évacuée. Trois mètres de cendres épaisses recouvrent le village, faisant s'effondrer ponts, édifices publics, et maisons de tout poil. Trois ans après la catastrophe, cinq cents personnes seulement sont revenues vivre là. Autant dire que la ville ressemble aujourd'hui à un village fantôme d'un western de John Ford. Des rues vides, poussiéreuses, qui se meurent sous un soleil de plomb. Chaiten est mort.


Dans un soupir, nous nous dirigeons vers la sortie de la ville, à la recherche d'un conducteur solitaire pouvant nous rapprocher de Coyhaique. 400 kilomètres nous séparent d'elle. Soit environ huit heures de routes de montagnes. Comme deux imbéciles à la dérive, nous entrons dans le vrai périple. Il est 17 heures. Deux 1ers Chiliens. Austères. Et pour tout dire angoissants. Ils nous font monter dans leur camionnette sans mot dire. Simon me dit en français que nous devrons faire gaffe à pas se faire choper nos affaires une fois arrivés. Finalement, ces deux honnêtes types taciturnes nous laissent, trente kilomètres plus loin, au milieu de rien. Une bonne heure et demie sous le soleil. On se charrie, on désespère. J'improvise à la guitare en chantant des conneries. Atmosphère bon enfant. Et alors que nous perdons espoir, arrivent un couple d'Argentins, la trentaine environ, nous amène cent kilomètres au sud. Ils parlent ciné, ils parlent de la France, ils parlent de Buenos Aires, ils parlent et parlent, en partageant leur mate (breuvage aux herbes addictif et délicieux originaire d'Argentine). Ils sont jeunes, extrêmement cordiaux. Et pour tout dire salvateurs. Avec l'impression d'avoir partagé des instants de vie, je m'engouffre dans Villa Santa Lucia le baume au cœur. Il est 20h. Et on est loin d'être arrivé. Grisés par notre ''chance'' passée, nous décidons de continuer, malgré l'heure tardive. En moins d'une minute, des paysans du coin nous laissent monter à l'arrière de leur camion, et filent sur les routes de terre. Nous n'avons pas mangé depuis 24h, nous sommes inconscients, heureux. Je me sens vraiment très heureux. Le paysage est à tomber à la renverse. Le vent vient nous frapper le visage, la route endommagée fait valdinguer ma guitare sur le sac de patates qui nous tient compagnie. La nuit tombe. Au détour d'un virage, le camion crève un pneu. Sans trop comprendre pourquoi, j'attrape mon barda, et nous filons. La nuit est désormais tombée. L'atmosphère reste bonne. La 2e voiture qui passe sur la route nous emmène. Le vieux parle de politique. La vieille, elle, connaît Jorge. La petite jeune, coincée à l'arrière entre deux Français en sueur, reste cordiale. 22h. La Junta. Moitié du voyage effectué. Nous trouvons un hospedaje simple. Demain, un bus part à 6h, et se rend à Coyhaique. Impossible d'acheter les billets à cette heure tardive. Mais, avec confiance, je me dis que le périple est terminé. Sans manger, je m'endors tranquille. A 13h, le lendemain, nous serons surement à Coyhaique.


Samedi 19 février.

La Junta. 4H30.

Réveil difficile. Il a fallu se lever tôt pour tenter de choper un billet. Trouver l'agence de bus, en croisant des jeunes rebelles revenus ivres de la fête du village. Pas moyen d'acheter un ticket. Devant l'agence, les mochileros s'accumulent. Près d'une quinzaine. 6h. Le bus arrive. Ahah. Il est plein. Pas moyen de monter dedans. Une dizaine de personnes tentent de faire le forcing. Le chauffeur, après des atermoiements dignes de l'éviction d'une ministre des affaires étrangères française, accepte de nous transporter 50 kilomètres au sud. Dans un bus plein à craquer, nous partons donc. Faites-le compte. Il est 7h30, il nous reste environ 200km de route à faire en stop. J'ai vraiment la dalle. A Puerto Puyuhuapui, nous ne nous attardons pas, pour devancer d'éventuels autostoppeurs téméraires. Nous partons sur les routes qui longent un lac magnifique. L'air est frais, sinon froid. Cette ambiance si particulière de l'amanecer procure à cet endroit reculé un charme invraisemblable. Reflet des montagnes sur l'eau. Air sain. Voitures très, très rares. Une camionnette de pauvres (encore eux), nous laissent monter à l'arrière. D'ailleurs, comme s'est plu à le rappeler ce marxiste de Simon, bizarrement, les pauvres sont plus enclins à vous faire monter à l'arrière de leur machine sortie des années 70 que les bourgeois apeurés au fond de leurs 4x4 sécurisés. Intéressant. Ils nous laissent quelques kilomètres plus loin. Je sens l'arôme de l'asphalte sous mes pieds. Son âpreté. Des paysages ''de toute beauté''. Partout. Un silence un peu pesant. 8h30. Toujours en train de marcher. Mon sac semble s'alourdir. 5 à 6 voitures par heure (je n'enjolive pas, juré craché). Et pas de place, ou peut-être pas d'envie des conducteurs de nous venir en aide. Nous marchons encore. Environ 2h ou 3h. Quelques moustiques viennent nous menacer. L'endroit est marécageux, hostile. Je m'effondre sur mon sac. On travaille nos têtes d'anges pour apitoyer un conducteur aux racines chrétiennes. Fatigués, vannés. Je comprends que le stop est une pure question d’ascenseur émotionnel. Sans chauffeur, la boule au ventre, tout en relativisant, le temps est long. Mais, miracle. Par nos sourires, et nous mines d'égarés, un gros pick-up rouge s'arrête. Le type fonce. Et c'est reparti. L'ivresse de la route. Réellement, je ne vois pas d'autre terme plus exact pour décrire cette impression : ivre, relâché, libéré. Soudainement sûr de moi. Nous passons une montagne. Une vraie. Une belle. Vue sur la cime du sommet, enneigé. Ma vue est un peu brouillée, je garde ma gratte contre moi. Je m'amuse comme un gosse. Les fesses en compote, nous arrivons à un embranchement. Nos conducteurs sont en fait... toulousains. Et vont à Coyhaique. Mais, miséricorde, ils décident de faire un détour de quelques heures pour aller manger. Il est 12h. Qu'importe, nous continuons. Les Français nous disent qu'ils nous reprendront dans quelques heures, si nous sommes encore là, puisqu'il n'existe qu'une route pour aller à Coyhaique. Sur une route, cette fois en bon état, et donc dangereuse (un Chilien voyant du goudron ne peut s'empêcher de faire du 130/h). Nous attendons que d'autres bonnes âmes nous conduisent. Trois jours que nous dormons cinq heures par nuit. Je pète un câble sur ma guitare. Simon pense à sortir ses pâtes cuisinées l'avant-veille, restées au fond de son sac. Quelques voitures passant à toute allure. Disparaissent. Les véhicules allant dans le sens inverse nous adressent des signes compassionnels. Deux heures, et quelques jolis pétages de plomb plus tard, un ouvrier nous fait grimper. Il ne va pas à Coyhaique (Argh, tuez-moi, tout de suite) , mais peut nous faire faire un bon bout de chemin. A une vitesse dépassant toutes mes peurs les plus folles (Simon m'en soit témoin), il nous expédie 150 km plus loin, sur une musique de Offspring poussée au maximum. Coyhaique est tout près. Notre ouvrier nous laisse avec le sourire. Un bus passe. Le chauffeur se fout un peu de notre gueule, et nous fait monter. Fin du voyage. Crois-je.


Alors que le bus se rapproche de Coyhaique, nous rions, installés à l'arrière, comme des défoncés. Nous rêvons d'une empanada, d'un bout de pain, d'une bière bien fraîche. Nous rions comme des tarés. En repensant à cette course-contre-la-montre folle, ratée, inconsciente, drôle, riche... magnifique. Nous la laissons derrière nous. J'aurais trop à dire sur la frustration magique de l'auto-stop. La panique qui succède à l'ennui, le magique qui surpasse le grisant. Je me suis rendu compte que l'autostoppeur ne lit pas. Jamais. Ne dort pas beaucoup. Il est en éveil, en stress, en admiration. La beauté d'une région, la gentillesse gratuite de l'autre. Et selon moi, par dessus tout, ce moment incroyable. Courir vers un camion, balancer ses affaires dans le coffre, s'assoir dessus, et rester, le dos à la route, en plein air, les yeux écarquillés sur la route qui défile et s'efface. L'inconfort complet dont on se fout. Je ne vois pas d'autre incarnation de ce qu'il peut y avoir de fort, de vrai, dans le terme ''voyage''. Voyager. Tout le reste n'est qu'excursion. Nécessaire, parce que l'auto-stop est trop souvent impossible. Mais elle n'est pas ce que je crois être le voyage.


17h. Maison des Barriga.

Sensation, allez, disons-le, quasi-orgasmique face à l'accueil qui nous est réservé. Des sourires, des accolades, de l'inquiétude vis-à-vis de notre retard de presque 24h, de la bouffe déjà prête (mes premières bouchées du completo qui m'attend ressemblent à ce que devrait être le paradis). Et une bière bien fraîche. Présents. Les vieux de Jorge (Jorge père et Victoria), sa sœur Monica, et deux copines, Monse et Carla. Une douche, quelques vannes, et nos affaires sont mises sur le pick-up familial. En moins d'une heure, nous repartons à 300 kilomètres au sud. Bordel. Là encore, il faut voir le tableau. Un pick-up chargé à bloc, les trois nanas assises dans le coffre, ou plutôt, sur le coffre à ciel ouvert. Le père de Jorge à ma droite. Je l'interroge sur son job passé. A travaillé dans l'armée. Pendant 35 ans. Ce type est un véritable Sgt. Hartman. Un sergent instructeur. Pure souche. Rude. Un brin sadique, mais terriblement sympathique avec nous, évidemment. On parle de De Gaulle, de la guerre des Malouines. Un peu cliché, mais j'apprécie le ton de la conversation. Jorge, au volant, file. Les flics nous arrêtent. Amende pour transport de personnes dans le coffre. Jorge père joue la carte du père de famille sérieux. Ils nous laissent repartir sans problème. Je m'installe dans le coffre avec Jorge. On se sirote une bière en fêtant nos retrouvailles alors que la voiture fonce dans la nuit. Sous un ciel étoilé de puta madre, dans un froid glacial, et face à des lacs qui s'étendent à perte de vue, on se raconte nos histoires, notre boulot, nos emmerdes. Nous sommes bien. Isolés, loin, dans un univers étrangement familier. Posés sur des sacs de voyage, je me risque à sortir ma guitare. Nous chantons du REM, du Manu Chao. Ces heures de voyage sont grandioses. La pleine lune éclaire l'ensemble de mon hallucination. La Patagonie est belle, très, très belle. La deuxième partie du voyage commence.


Tudy

2 commentaires:

  1. Des fois tu m'as fait penser à Brasillach avec tes histoires de camping (Cf. Notre avant-guerre). Je n'ai pas fini ton journal de voyage mais c'est sympathique.

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  2. Je viens enfin de finir cet article magique qui sent l aventure, l improvisation et la buena onda a plein nez. C est ça qu on veut. Respect hermano.

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