mardi 29 mars 2011

"I was on the road again".





Incarnation du désespoir de l'auto-stoppeur.
"L'homme devient fou s'il n'a personne dans sa vie. Je vous le dis, un homme trop solitaire tombe malade". Steinbeck, cité par Ben dans Lost (oui, j'ai un peu honte de l'origine réelle de la référence). Le titre est évidemment, facilement, démagogiquement, tiré du bouquin de J. Kerouac.

vendredi 18 mars 2011

''Les raisonnables ont duré. Les passionnés ont vécu''.





Ensemble de notes prises pendant mon voyage en Patagonie. Phrase piquée à Alain Chamfort. Petite sélection de photos, la 1ère sur la cuisine de Simon, les autres sur le bateau la Pincoya. La suite du récit devrait être publiée au cours de trois, sinon quatre articles. Je note, à la relecture, que mon style est très... enflammé, mais j'imagine qu'il correspond aux sentiments ressentis dans ces moments précis. J'ai donc décidé de laisser le texte quasi tel quel.


Samedi 12 février 2011.

Départ. Valparaiso. 18h.

Sentiment de liberté. Plus exactement de délivrance. Après deux mois d'expériences journalistiques frustrantes, je quitte finalement Valparaiso. Direction le sud. Au revoir et abrazos rapides aux derniers courageux restés à Valpo, je laisse mon appartement, et je trace la route. J'ai pour tout bagage un sac de bidasse sur le dos, qui croule sous une tente et un nombre de livres dont j'aurai honte de révéler ici le nombre, ainsi que mon inestimable et encombrante guitare, que je ne puis plus quitter, ne serait-ce que le temps d'un mois. Soleil de plomb. Je ne sais pas réellement où je vais, je ne connais pas plus les noms des villes que ceux des régions que je m'apprête à découvrir, et je ne sais même pas si j'ai les thunes pour le faire. J'ai pris un billet direct pour Puerto Montt, ville à la lisière de la Patagonie, située à 1000 et quelques kilomètres de Valparaiso. Je me pose dans le terminal, je sors ma guitare, et massacre des chansons de Molotov ou de Cat Stevens. Rien qu'en déballant mon maigre répertoire, je me sens vivant. Une fois dans le bus, les paysages commencent à défiler, et je m'en balance un peu. Je ressens simplement une envie irrésistible, inexplicable, d'être loin, d'aller loin. La nuit tombe le pays, les petits villages s'enchaînent, les films de merde également. Avec difficulté, je m'endors la joue posée contre la vitre.



Dimanche 13 février.

Puerto Montt. 11h. Allemagne... ou plutôt Chili... enfin, je crois.

Après quatorze heures de voyage, j'ai le dos en vrac, l'esprit embrouillé, les pieds à l'agonie. Je commence très sérieusement à croire que les producteurs de Pirates des Caraïbes ont passé un accord secret avec les chauffeurs de bus pour débiliser nos p'tites têtes blondes, sans doute trop intelligentes. Voir passer quatre heures de film d'action bas-de-gamme, non-réalisé, avec des acteurs pathétiques, en y ajoutant les doublages dégueulasses proposés par quelques acteurs latinos coincés dans un studio mexicain miteux, avait vraiment de quoi me foutre en rogne. Je me pose sur la place la plus proche, commençant à gratouiller en regardant passer les locaux. En fait, je contemple plutôt ce qui ressemble à une véritable colonie de peuplement germanique. De grands hommes aux cheveux blancs, la peau claire et la panse en avant, accompagnent des femmes d'un certain âge portant des robes sophistiquées, en remettant leur chevelure blonde en arrière. Les restos du coin, en tout cas certains, vous proposent leurs spécialités locales. Comme par exemple des strüdels. Ouaip. Dans cette Alsace américaine, je n'ai pourtant guère le temps de m'attarder, et encore moins de visiter. J'achète à la va-vite un billet vers Ancud, la première ville de l'île de Chiloé, située à quelques dizaines de kilomètres au sud. Je monte dans un bus, qui lui-même grimpe dans un bateau. La traversée est extrêmement courte, mais ces vingt petites minutes me font un grand effet. L'archipel m'ouvre ses bras. Sur le pont, je frissone en regardant s'éloigner le continent. J'en viens à m'éblouir de ce vent de liberté qui semble temporairement souffler sur mon existence.


15h.

J'arrive au cœur d'un petit port calme, charmant, presque endormi. Ancud. Je rejoins Simon, emmitouflé que je suis dans un manteau ''emprunté'' à un pote allemand. Dans un hospedaje situé en amont de la ville, je pose mes bagages dans une petite chambre pleine de charme, située dans une maison qui, elle, en a un peu moins. Ces quelques mètres carrés donnent une vue directe sur la mer. On se croirait vraiment dans une cabine de bateau. Pas un ustensile de cuisine à l'horizon, mais de la tranquillité, semble-t-il, et de la joie (ce sera en réalité, le cas de le dire). Vanné par mon voyage, émerveillé par le paysage, la journée est un brin oisive. Rapide découverte de la vie nocturne du port, qui ferait passer un des mes diners de famille dans le Finistère pour une rave party ayant mal tournée, et nous rentrons. Sans plus.


Lundi 14 février.

Ancud.

Vacances, enfin. Rien à faire, ou presque, dans ce port magnifique. Quelques pêcheurs bronzés jusqu'à la moelle reviennent du large à l'heure où je me réveille. La vue sur la mer est vraiment impressionnante. Un p'tit déj' frugal, quelques errances dans les rues désertes, et un vrai repas plus tard, nous nous posons sur le ponton en scrutant le paysage. L'atmosphère est étrangement calme. Je me sens en mode découverte, en mode éblouissement abruti et hébété. Se poser, bouquiner un peu (à la bougie en soirée, por favor), boire quelques bières (Homer Simpson, sort de ce corps) face à un panorama paradisiaque. La ville, paraît-il, organise quelques évènements pour attirer le touriste. Je n'en ai personnellement que foutre. J'apprécie énormément ce moment d'absence totale de responsabilités et d'objectifs. Je ne sais pas où je serai demain. Pour le moment, la vie est délicieuse. Enfin... à ceci près que la maison (un hospedaje est une sorte de chambre d'hôte) dans laquelle nous sommes échoués est... comment le dire sans froisser ma grande-tante malheureusement tombé sur mon blog... Disons qu'avec des doutes le premier jour, et des certitudes le dernier, nous avons pris conscience que cette demeure était aussi le repère de demoiselles de peu de vertu. Une maison de passe pour marins en mal de chair féminine. Pas constamment, bien sûr, nous ne sommes pas abrutis à ce point, mais disons qu'elle faisait office de motel pour des cas... d'urgence. Dans cette atmosphère relativement glauque, je commence à comprendre pourquoi je dois fermer ma porte la nuit, et dormir dans mon propre sac de couchage. Mais, ce qu'il faut souligner, c'est que je suis pauvre, jeune, inconscient, et que j'apprécie ma chambre. Du reste, peu m'importe. Je m'endors la tête orientée vers la mer, en décryptant De Gaulle à la bougie.



Mardi 15 février.

Ancud.

Départ, finalement, pour Castro. Adieu, maison d'accueil de prostituées dans le besoin, et bonjour à la ''capitale'' de Chiloé, située plus au sud, au centre de l'île. Et le moins que l'on puisse dire, est que la ville n'est pas si accueillante que cela. Peut-être la pluie diluvienne tombant sur nos gueules joua-t-elle un rôle dans cette appréciation. Des mochileros (l'équivalent chilien des backpackers, ou sac-à-dos-eurs, si vous préférez), semblent avoir pris possession de la ville. Nous partons vers l'extérieur de la ville, à la recherche d'un camping. Sur le chemin, des maisons sur pilotis, un paysage brumeux, et des Chilotes pas si accueillants. Première expérience de stop assez frustrante. Un mec très sympa nous indique la direction à suivre, et nous fait monter dans un bus. Finalement, nous arrivons ailleurs. Qu'importe, un camping, sans prétentions, certes, nous tend les bras. Nous y plantons nos tentes. Le ''dueño'' (c'est-à-dire le proprio) seul vaut le détour. Un personnage viril, un peu antipathique au premier abord, lugubre, le visage marqué, enchaîne les cigarettes en parlant d'une voix rauque. Dans son antre, un feu au milieu de la pièce, des milliards de petites conneries accrochées aux murs. Il vend son camping avec rudesse, et confiance en lui. ''Ici, c'est sympa''. J'ai l'impression de voir un agent de la Stasi me décrire les prisons est-Allemandes. Enfin, malgré sa froideur, je lui rend ce qui lui appartient, il n'était guère désagréable. L'endroit est finalement assez quelconque. Nous rencontrons nos voisins, un barman santiaguino et sa nana, venus dans le sud pour décompresser et voir un peu de pays. Finalement, les tentatives multiples d'allumer un barbecue sous la pluie suffisent à combler les dernières heures de la journée. Ma tente est trempée, et la moitié de mes bouquins également.


Mercredi 16 février.

Castro.

Lever aux aurores. Déplantage sous la pluie, direction le centre-ville pour se tirer de là. En avalant notre petit déj', assis au coin d'une rue, les passants nous regardent comme des mendiants égarés. Il faut avouer que mon jean, désormais troué en dix-neuf endroits distincts, n'aide pas. Et là, à ce moment précis, alors que nous avalons inconsciemment des petits pains frais, se trame le début, le commencement, du voyage, du vrai voyage. Arrivés dans le terminal, nous ne savons pas où nous allons, ni comment, ni combien de temps. En fait, nous ne savons pas quel jour nous sommes. Et c'est une fois dans un bus pour Tenaun, village perdu parmi les villages perdus, que nous nous rendons compte qu'il faudra être demain... à 17h... à Puerto Montt pour prendre notre bateau vers la Patagonie. Soit environ... 200 kilomètres au nord. En outre, la route qui mène à Tenaun ressemble à ce que devait être celle qui reliait Nuremberg à Munich en 1945 (oui, je suis sur les métaphores allemandes en ce moment, c'est l'effet germanique chilien). Catastrophique. Deux heures de bus, pour parcourir soixante kilomètres, et nous voilà à Tenaun. Calme. Très, très calme. Une église bleue sur l'unique place du village, à quelques mètres d'une mer endormie. Pas un hôtel à l'horizon. Pas de panique, grâce au routard, nous nous crashons dans un hospedaje pas donné mais accueillant. J'ai les chaussures trempées, mon sac-à-dos fait peine à voir. Avec un Butagaz salvateur, je goûte aux fameuses pâtes à la soupe d'épinards de Simon (pour la suite de notre récit, je souligne l'importance de ce plat). Sur la plage, nous faisons les cons. Deux mamies de Santiago viennent faire la causette. Nous disparaissons, et continuons d'errer sur la plage magnifique où se côtoient des bateaux de pêche et un cheval égaré. Le coucher de soleil est bluffant. Au loin, sur la mer toute tranquille, passe un ban de dauphins qui sautent dans le lointain. Juste devant cette belle plage. Le rêve.


Jeudi 17 février.

Tenaun.

Lever 5h. Bus à 6h.

A cause de notre bêtise de la veille, nous devons reprendre le chemin de Puerto Montt aux aurores. Nous n'aurons pas vraiment profité de l'endroit. De retour à Castro, nous montons dans le premier bus venu. Et arrivons vivants à Puerto Montt. La ville grouille toujours autant. Un vrai bon repas, n'incluant ni un paquet de pâtes douteux, ou une soupe en poudre transgénique, suffit à me faire plaisir, même s'il signifie se taper en boucle des infos sur le nouveau film de Justin Bieber, face aux dix-huit télés présentes dans le resto. Je ne sais pas si l'inventeur de l'audiovisuel se rend compte de son crime. Lumière, si tu m'entends, tu as vraiment pourri la vie d'un nombre indécent de personnes, au Chili comme ailleurs. Posés dans le terminal de bateaux, exténués, nous nous apprêtons à partir vers la Patagonie. Il est environ 17h quand nous embarquons sur la Pincoya (nom d'une déesse des légendes chilotes, censée maîtriser les flots et la poiscaille), un tas de ferraille qui devrait nous amener à Chaiten en une dizaine d'heures. Quand le moteur s'enclenche, je ressens une impression totalement grisante. Face à la houle et au vent, je me balade sur le pont du bateau, émerveillé par le spectacle de la ville qui disparaît au large. Une télévision bruyante imbécilise encore les passagers à moitié endormis. Je passe le plus clair du voyage sur le pont du bateau. Le coucher de soleil est cette fois absolument impressionnant. Le voyage est drôle, long, magnifique. A force de contempler la vue, le visage face au soleil, j'ai la peau cramée. Une fois la nuit tombée, nous continuons avec Simon à parler, à déconner, à profiter de cette nuit fraîche et magique. La pleine lune donne à voir un paysage flou et grandiose. Des îles font face au continent, Chiloé est à proximité. Le hic, c'est que nous avions dit à Jorge (mon coloc', pour ceux qui suivent pas) que nous arriverions à Coyhaique le 18 février, en fin d'après-midi. Le soir du 17, nous sommes toujours sur les eaux du Pacifique.


Vendredi 18 février.

Quelque part entre Chiloé et le continent.

Toujours sur le bateau la Pincoya. Paysage de rêves. Îles, montagnes, volcans, falaises, où la trace de l'homme est difficilement perceptible. Des dauphins viennent encore nous saluer (''Puta, que lindo!''). Les passagers s'impatientent. C'est vrai que le voyage est long. Nous avons été retenu, à Ancud, semble-t-il, pendant quelques heures, pour cause de tempête (environ 16h de traversée, finalement). Mais la première vision de la Patagonie est exquise. Inespérée. J'ai trop froid, puis trop chaud, je me sens ailleurs, transporté, sorti de quelque chose. C'était vraiment l'une des plus belles traversées de ma vie. Longue, remuante, puis paisible. Avec cette impression d'un monde de possibilités de paysages et de personnes pour s'offrir à nous. De manipuler toutes ces possibilités. Bien sûr, c'est une illusion, mais qu'importe.


Petit choc en arrivant. Non seulement nous sommes fatigués (j'ai personnellement dormi quatre ou cinq heures), mais la dure réalité vient nous frapper en pleine face. Il est 16h, et il n'y a pas de bus pour Coyhaique. Oups. Le pire. Il n'y a pas non plus bus le lendemain avant 15h, tout en sachant que ce dernier ne fera que... la moitié du voyage. Et qu'il faudra en reprendre un autre, une fois à la moitié, le... surlendemain. La nana de l'office du tourisme nous montre le bus qui passe devant nous en disant : ''c'était le dernier''. Re-oups. Elle ne sait pas que par sa maladresse, elle vient de m'offrir le voyage le plus épique de mon existence. Pour le moment, je ne le sais pas. Nous errons dans la ville en cherchant des solutions. Arrêtons d'ailleurs sur cet endroit singulier. 2008. Eruption du Volcan Chaiten, situé à proximité de la ville (et par ailleurs, terriblement beau). La ville, qui compte alors 11.000 habitants, est évacuée. Trois mètres de cendres épaisses recouvrent le village, faisant s'effondrer ponts, édifices publics, et maisons de tout poil. Trois ans après la catastrophe, cinq cents personnes seulement sont revenues vivre là. Autant dire que la ville ressemble aujourd'hui à un village fantôme d'un western de John Ford. Des rues vides, poussiéreuses, qui se meurent sous un soleil de plomb. Chaiten est mort.


Dans un soupir, nous nous dirigeons vers la sortie de la ville, à la recherche d'un conducteur solitaire pouvant nous rapprocher de Coyhaique. 400 kilomètres nous séparent d'elle. Soit environ huit heures de routes de montagnes. Comme deux imbéciles à la dérive, nous entrons dans le vrai périple. Il est 17 heures. Deux 1ers Chiliens. Austères. Et pour tout dire angoissants. Ils nous font monter dans leur camionnette sans mot dire. Simon me dit en français que nous devrons faire gaffe à pas se faire choper nos affaires une fois arrivés. Finalement, ces deux honnêtes types taciturnes nous laissent, trente kilomètres plus loin, au milieu de rien. Une bonne heure et demie sous le soleil. On se charrie, on désespère. J'improvise à la guitare en chantant des conneries. Atmosphère bon enfant. Et alors que nous perdons espoir, arrivent un couple d'Argentins, la trentaine environ, nous amène cent kilomètres au sud. Ils parlent ciné, ils parlent de la France, ils parlent de Buenos Aires, ils parlent et parlent, en partageant leur mate (breuvage aux herbes addictif et délicieux originaire d'Argentine). Ils sont jeunes, extrêmement cordiaux. Et pour tout dire salvateurs. Avec l'impression d'avoir partagé des instants de vie, je m'engouffre dans Villa Santa Lucia le baume au cœur. Il est 20h. Et on est loin d'être arrivé. Grisés par notre ''chance'' passée, nous décidons de continuer, malgré l'heure tardive. En moins d'une minute, des paysans du coin nous laissent monter à l'arrière de leur camion, et filent sur les routes de terre. Nous n'avons pas mangé depuis 24h, nous sommes inconscients, heureux. Je me sens vraiment très heureux. Le paysage est à tomber à la renverse. Le vent vient nous frapper le visage, la route endommagée fait valdinguer ma guitare sur le sac de patates qui nous tient compagnie. La nuit tombe. Au détour d'un virage, le camion crève un pneu. Sans trop comprendre pourquoi, j'attrape mon barda, et nous filons. La nuit est désormais tombée. L'atmosphère reste bonne. La 2e voiture qui passe sur la route nous emmène. Le vieux parle de politique. La vieille, elle, connaît Jorge. La petite jeune, coincée à l'arrière entre deux Français en sueur, reste cordiale. 22h. La Junta. Moitié du voyage effectué. Nous trouvons un hospedaje simple. Demain, un bus part à 6h, et se rend à Coyhaique. Impossible d'acheter les billets à cette heure tardive. Mais, avec confiance, je me dis que le périple est terminé. Sans manger, je m'endors tranquille. A 13h, le lendemain, nous serons surement à Coyhaique.


Samedi 19 février.

La Junta. 4H30.

Réveil difficile. Il a fallu se lever tôt pour tenter de choper un billet. Trouver l'agence de bus, en croisant des jeunes rebelles revenus ivres de la fête du village. Pas moyen d'acheter un ticket. Devant l'agence, les mochileros s'accumulent. Près d'une quinzaine. 6h. Le bus arrive. Ahah. Il est plein. Pas moyen de monter dedans. Une dizaine de personnes tentent de faire le forcing. Le chauffeur, après des atermoiements dignes de l'éviction d'une ministre des affaires étrangères française, accepte de nous transporter 50 kilomètres au sud. Dans un bus plein à craquer, nous partons donc. Faites-le compte. Il est 7h30, il nous reste environ 200km de route à faire en stop. J'ai vraiment la dalle. A Puerto Puyuhuapui, nous ne nous attardons pas, pour devancer d'éventuels autostoppeurs téméraires. Nous partons sur les routes qui longent un lac magnifique. L'air est frais, sinon froid. Cette ambiance si particulière de l'amanecer procure à cet endroit reculé un charme invraisemblable. Reflet des montagnes sur l'eau. Air sain. Voitures très, très rares. Une camionnette de pauvres (encore eux), nous laissent monter à l'arrière. D'ailleurs, comme s'est plu à le rappeler ce marxiste de Simon, bizarrement, les pauvres sont plus enclins à vous faire monter à l'arrière de leur machine sortie des années 70 que les bourgeois apeurés au fond de leurs 4x4 sécurisés. Intéressant. Ils nous laissent quelques kilomètres plus loin. Je sens l'arôme de l'asphalte sous mes pieds. Son âpreté. Des paysages ''de toute beauté''. Partout. Un silence un peu pesant. 8h30. Toujours en train de marcher. Mon sac semble s'alourdir. 5 à 6 voitures par heure (je n'enjolive pas, juré craché). Et pas de place, ou peut-être pas d'envie des conducteurs de nous venir en aide. Nous marchons encore. Environ 2h ou 3h. Quelques moustiques viennent nous menacer. L'endroit est marécageux, hostile. Je m'effondre sur mon sac. On travaille nos têtes d'anges pour apitoyer un conducteur aux racines chrétiennes. Fatigués, vannés. Je comprends que le stop est une pure question d’ascenseur émotionnel. Sans chauffeur, la boule au ventre, tout en relativisant, le temps est long. Mais, miracle. Par nos sourires, et nous mines d'égarés, un gros pick-up rouge s'arrête. Le type fonce. Et c'est reparti. L'ivresse de la route. Réellement, je ne vois pas d'autre terme plus exact pour décrire cette impression : ivre, relâché, libéré. Soudainement sûr de moi. Nous passons une montagne. Une vraie. Une belle. Vue sur la cime du sommet, enneigé. Ma vue est un peu brouillée, je garde ma gratte contre moi. Je m'amuse comme un gosse. Les fesses en compote, nous arrivons à un embranchement. Nos conducteurs sont en fait... toulousains. Et vont à Coyhaique. Mais, miséricorde, ils décident de faire un détour de quelques heures pour aller manger. Il est 12h. Qu'importe, nous continuons. Les Français nous disent qu'ils nous reprendront dans quelques heures, si nous sommes encore là, puisqu'il n'existe qu'une route pour aller à Coyhaique. Sur une route, cette fois en bon état, et donc dangereuse (un Chilien voyant du goudron ne peut s'empêcher de faire du 130/h). Nous attendons que d'autres bonnes âmes nous conduisent. Trois jours que nous dormons cinq heures par nuit. Je pète un câble sur ma guitare. Simon pense à sortir ses pâtes cuisinées l'avant-veille, restées au fond de son sac. Quelques voitures passant à toute allure. Disparaissent. Les véhicules allant dans le sens inverse nous adressent des signes compassionnels. Deux heures, et quelques jolis pétages de plomb plus tard, un ouvrier nous fait grimper. Il ne va pas à Coyhaique (Argh, tuez-moi, tout de suite) , mais peut nous faire faire un bon bout de chemin. A une vitesse dépassant toutes mes peurs les plus folles (Simon m'en soit témoin), il nous expédie 150 km plus loin, sur une musique de Offspring poussée au maximum. Coyhaique est tout près. Notre ouvrier nous laisse avec le sourire. Un bus passe. Le chauffeur se fout un peu de notre gueule, et nous fait monter. Fin du voyage. Crois-je.


Alors que le bus se rapproche de Coyhaique, nous rions, installés à l'arrière, comme des défoncés. Nous rêvons d'une empanada, d'un bout de pain, d'une bière bien fraîche. Nous rions comme des tarés. En repensant à cette course-contre-la-montre folle, ratée, inconsciente, drôle, riche... magnifique. Nous la laissons derrière nous. J'aurais trop à dire sur la frustration magique de l'auto-stop. La panique qui succède à l'ennui, le magique qui surpasse le grisant. Je me suis rendu compte que l'autostoppeur ne lit pas. Jamais. Ne dort pas beaucoup. Il est en éveil, en stress, en admiration. La beauté d'une région, la gentillesse gratuite de l'autre. Et selon moi, par dessus tout, ce moment incroyable. Courir vers un camion, balancer ses affaires dans le coffre, s'assoir dessus, et rester, le dos à la route, en plein air, les yeux écarquillés sur la route qui défile et s'efface. L'inconfort complet dont on se fout. Je ne vois pas d'autre incarnation de ce qu'il peut y avoir de fort, de vrai, dans le terme ''voyage''. Voyager. Tout le reste n'est qu'excursion. Nécessaire, parce que l'auto-stop est trop souvent impossible. Mais elle n'est pas ce que je crois être le voyage.


17h. Maison des Barriga.

Sensation, allez, disons-le, quasi-orgasmique face à l'accueil qui nous est réservé. Des sourires, des accolades, de l'inquiétude vis-à-vis de notre retard de presque 24h, de la bouffe déjà prête (mes premières bouchées du completo qui m'attend ressemblent à ce que devrait être le paradis). Et une bière bien fraîche. Présents. Les vieux de Jorge (Jorge père et Victoria), sa sœur Monica, et deux copines, Monse et Carla. Une douche, quelques vannes, et nos affaires sont mises sur le pick-up familial. En moins d'une heure, nous repartons à 300 kilomètres au sud. Bordel. Là encore, il faut voir le tableau. Un pick-up chargé à bloc, les trois nanas assises dans le coffre, ou plutôt, sur le coffre à ciel ouvert. Le père de Jorge à ma droite. Je l'interroge sur son job passé. A travaillé dans l'armée. Pendant 35 ans. Ce type est un véritable Sgt. Hartman. Un sergent instructeur. Pure souche. Rude. Un brin sadique, mais terriblement sympathique avec nous, évidemment. On parle de De Gaulle, de la guerre des Malouines. Un peu cliché, mais j'apprécie le ton de la conversation. Jorge, au volant, file. Les flics nous arrêtent. Amende pour transport de personnes dans le coffre. Jorge père joue la carte du père de famille sérieux. Ils nous laissent repartir sans problème. Je m'installe dans le coffre avec Jorge. On se sirote une bière en fêtant nos retrouvailles alors que la voiture fonce dans la nuit. Sous un ciel étoilé de puta madre, dans un froid glacial, et face à des lacs qui s'étendent à perte de vue, on se raconte nos histoires, notre boulot, nos emmerdes. Nous sommes bien. Isolés, loin, dans un univers étrangement familier. Posés sur des sacs de voyage, je me risque à sortir ma guitare. Nous chantons du REM, du Manu Chao. Ces heures de voyage sont grandioses. La pleine lune éclaire l'ensemble de mon hallucination. La Patagonie est belle, très, très belle. La deuxième partie du voyage commence.


Tudy

vendredi 11 mars 2011

« Ne pas avoir d'idées et savoir les exprimer. C'est ce qui fait le journaliste ».


Esquisse.


Après maintes réflexions, après bien trop d'atermoiements, après des acquis de conscience sous-pesés, j'ai décidé de publier cet article sur mes impressions, et qui restent uniquement personnelles, vis-à-vis de mon travail de journaliste. Par paranoïa ou prudence, je souligne que cet article ne relève qui de sentiments propres, et ne mettent pas en cause le journal avec lequel j'ai eu la chance de travailler. La citation est de Karl Kraus. La photo, de wam.

Une entrée laborieuse pour un article qui a tant tardé à paraître. C'est très dommage, mais c'est ainsi. Il y aurait certainement trop à dire sur le journalisme, et je tenterai de me contenter de peu.

Le journalisme est sombre. Frustrant. Incomplet. Dépassé. Je soupçonne le journaliste de n'avoir jamais existé, et de n'exister jamais. Je le soupçonne de secrètement participer à l'ode général au vide, en acquiesçant de la tête, sans savoir ce qu'il fait. Une expérience est toujours décevante, ne serait-ce que parce qu'elle « ramène inlassablement l'inconnu au connu ». Celle-ci le fut donc. Je ne sais pas si cela est du à mon caractère, ou à ce qu'est, et dans ce cas, ce que devrait être le journalisme. Jamais ne me suis-je enchanté des interviews, qui restent des saisies en surface d'une réalité bien plus profonde. Jamais ne me suis-je réjouis d'une rédaction charcutée à coups de serpe, et qui, avec le temps, finissait par s'autocensurer. Jamais ne me suis-je emballé du résultat médiocre de travaux faits dans l'urgence, et parfois le désintérêt le plus complet. Jamais ne fus-je séduit par la semi-liberté atroce qui s'impose au journaliste. Il pense choisir son sujet, sa trame, son axe, tout en restant calfeutré dans un océan de possibilités qui ressemblent davantage à une piscine sans aucune issue.

Alors bien sûr, je dois, par honnêteté intellectuelle, mesurer mon propos, en soulignant que la curiosité, la page blanche à remplir, l'habitude du style, sont tant de situations qui peuvent éventuellement fournir au journaliste, expert ou non, une satisfaction, disons, substantielle. En outre, la responsabilité, colossale, qui lui incombe, tant dans son style que dans son ton, dans son regard que dans son rapport au monde, est d'un intérêt réel, aussi médiocre et peu lu que puisse être son travail. Ces conditions qui poussent, inévitablement, le rédacteur à réfléchir sur la projection de l'autre, sont extrêmement enrichissantes. Mais c'est l'artificialité de la fonction qui me semble submerger, noyer, sa plume. En s'inscrivant de manière permanente dans une logique de critères, d'objectifs, de rendements, le rédacteur plonge. Dans un regard sans savoir. Dans une interprétation sans passion. Dans une analyse qui fait fit de toute méditation. Dans une certaine mesure, j'y ai vu la mort de tout l'érotisme (Marc Edouard, si tu m'écoutes) dans lequel doit baigner l'écriture, aussi limitée soit-elle. Une parenthèse ici. Au cours de ce stage, je me suis dit que l'écriture, parce qu'elle doit être gratuite (et donc antijournalistique), était forcément liée à une forme d'ennui. L'ennui, « ce fruit de la morne incuriosité », serait-il une raison d'écrire ? Comme l'on fait des enfants par ennui, n'écrirait-on depuis le vide, et pour lui ? Il me semble que l'inspiration ne saurait y être directement liée. Elle ne naît point du vide, ou plutôt, ne peut y rencontrer sa source. Si elle peut s'en nourrir, elle ne saurait s'en contenter. J'en arrive à penser que la grande majorité du monde a une tendance très marquée à s'emmerder profondément. Le pire n'est peut-être plus dans l'ennui en lui-même, sinon dans l'impression partagée d'un devoir-être, qui, par définition, ne pourrait s'incarner jamais. C'est peut-être cela, l'état mélancolique : la différence consciente entre l'être et le devoir-être. Mais je m'écarte. Pourquoi donc écrire ? Certainement pas par obligation. Alors par passion, par pure curiosité ? Par désœuvrement ? Par envie ? J'en suis arrivé à la conclusion que l'on écrit comme l'on rêve. Par inconscience. Par projection. Par disponibilité.

Mais je ferme cette parenthèse imbécile.

Je me suis rendu compte que c'était aussi ma première réelle plongée dans l'océan de l'entreprise. Dans les méandres d'un rapport poussiéreux à l'autorité. Dans la difficulté d'être toujours en tort, toujours en avance, en retard. D'être toujours à coté. Et comme sont vicieuses les quelques marques de gratitude de vos interlocuteurs qui vous font penser que votre travail revêt un intérêt de quelque acabit. Comme il est facile de s'y vautrer et de s'y complaire. Plus que jamais, j'ai envie de lutter, tout en ayant déjà laissé mes armes derrière moi. De me dire que je pourrais être journaliste, et que je ne le serai jamais. Le journalisme n'est pas fait pour moi. Ma perversion narcissique tendrait à dire qu'il n'est fait pour personne.


Mais c'est un peu comme la politique. Si nous la laissons de coté, qui la reprendra en main, sinon les dignes successeurs des encatanés actuels ?

« Je suis journaliste. Je suis partout. J'entends tout. J'écris tout ce que j'entends, et j'invente ce que je n'entends pas ». Dac & Blanche.

Tudy


Y para mis amigos que no hablan francés (waaaaahou. Lo siento para todos los errores que quedan).

No tener ideas y saber exprimirlas. Es lo que hace un periodista”.


Bosquejo.

Después de muchas reflexiones, de varios retrasos, después de demasiadas prorrogas, decidí publicar este articulo que revela mis sentimientos, y que quedan únicamente personales, sobre mi trabajo de periodista. Con paranoia, o quizás prudencia, tengo que subrayar que este articulo concierne impresiones propias, y no acusa en cualquiera forma que sea el periódico en lo cual trabajé. La citación es de Karl Kraus. La foto es mía.

Una introducción difícil de un articulo que, obviamente, tiene un retraso lamentable. Mi prudencia es una lastima... pero así es. Tendría demasiadas cosas a decir sobre el periodismo, y tendré que contentarme de muy poco.

El periodismo es triste. Frustrante. Incompleto. Desbordado. Sospecho que el periodismo jamas existió, y que jamas existirá. Lo sospecho de participar, de manera secreta, a la oda general al vació, aceptando su destino, sin saber de verdad lo que hace. Una experiencia debe ser una frustración. Simplemente porqué “lleva incansablemente el desconocido al conocido”. Esa experiencia fue una decepción. No sé si se puede explicar a la luz de mi propia personalidad, o a lo que es, o, en este caso, lo que debería ser el periodismo. Nunca me encanté de las entrevistas que tratan superficialmente realidades más profundas. Nunca me alegré de esta redacción artificial, que, con el tiempo, empieza a auto-censurarse. Nunca me entusiasmé del resultado mediocre de trabajos hechos en la urgencia, y, desgraciadamente, a veces, en el desinterés el más profundo. Nunca estuve seducido por la teórica libertad del periodista, que piensa seleccionar su proprio sujeto, su propio tema, encerrado en lo que parece más a una piscina sin salida que a un océano de posibilidades.

Obviamente, sometido al deber de la honestidad intelectual, tengo que matizar mi opinión, subrayando que la curiosidad, la felicidad de llenar una pagina blanca, el disfrute de desarrollar su propio estilo, participan a dar al periodista, experto o no, una satisfacción real. Ademas, su responsabilidad, es decir elegir su mirada, su contacto con el mundo, su manera de relatar acontecimientos, es realmente interesante, aun para lo peor o lo más pequeño de los trabajos. Esas condiciones permiten, inevitablemente, al autor de reflexionar sobre la proyección de los demás, de su propia persona. Pero, a mi me parece que la artificialidad de su función se impone sobre su estilo. Inscribiéndose en una lógica de objetivos, y intentando corresponder a los criterios de sus lectores, muere la inocencia necesaria a todo tipo de escritura. Y se forma una mirada sin saber, una interpretación sin pasión, una análisis sin meditación. A mi humilde juicio, se muere todo el erotismo (concepto desarrollado por un we'on francés, señor M.E. Nabe) en lo cual debe bañarse, en todo tiempo, en todo lugar, la escritura. Una paréntesis aquí. Durante mi practica, pensé que la escritura, tomado por ella, y simplemente para ella, debe ser gratuita (y, en ese sentido, oponerse a todo trabajo periodístico), es decir vinculada a una forma de aburrimiento. ¿El aburrimiento, “fruto de la monótona incuriosidad” (C. Baudelaire, si, sé, hago un poco de “name-dropping”), seria una razón para escribir? ¿Como hacemos niños por aburrimiento, escribiríamos del vació, para llenarlo? Me parece que la inspiración no está directamente vinculada al aburrimiento. No nace del vació, no tiene su fuente en lo vació. Se puede enriquecer de lo, pero no contentarse. Creo ahora que la mayoridad del mundo vive en el miedo de aburrirse de manera profunda. Y que se aburre. Lo peor no es el abrimiento en si mismo, sino la impresión compartida de un deber-ser que, por definición, jamas se encarnara. Quizás es la melancolía: la discrepancia consienta entre el ser y el deber ser. Pero me aparto del tema. ¿Porqué escribir? Obviamente, no por obligación. ¿Por pasión, por curiosidad? ¿Por ociosidad ? ¿Por envidia? Mi conclusión es que escribimos como soñamos. Por inconsciencia. Por proyección. Por disponibilidad.

Pero, cierro aquí esa paréntesis estúpida.

Me di cuenta que esa practica fue mi primera hundida en el mundo empresarial. En lo asqueroso de una relación profesional a la autoridad. En la dificultad de tener todo el tiempo retraso, de jamas tener razón. Que viciosas son las raras marcas de gratitud dadas por sus interlocutores, que les hace pensar que su trabajo presenta una cualquiera importancia. Que fácil es de complacerse en esa situación. Ahora más que nunca, tengo ganas de luchar, pero ya he dejado mis armas detrás de mi. De decirme que pudiera ser periodista, y que jamas lo seré. Que el periodismo no es hecho para mi. O, quizás, no es hecho para nadie.


Pero, es exactamente como la política. ¿Si la dejamos, quien la recuperara, sino los dignos sucesores de los we'ones actuales al poder?...

Soy periodista. Estoy en todos lados. Escucho todo. Escribo todo lo que escucho. Invento todo el resto.” Dac y Blanche (humoristas franchutes).

Toudy

jeudi 10 février 2011

Nous devrions nous efforcer de comprendre ce que signifie le silence.

Cela fait près de deux mois que je n'ai pas rédigé un ligne. Pas un mot, pas un vers, pas un billet. Pas une pensée. Et je m'en inquiétais. Je m'en inquiétais, parce qu'aussi stupide que je suis, je reste attaché à cette belle phrase citée dans les Mots de sieur Sartre: nulla dies sine linea. Nul jour sans écrire. Et je n'écrivais pas.


Peut-être mes lecteurs, encore faut-il qu'ils soient encore vivants, se sont-ils demandés: pourquoi un tel silence ? Je me suis d'abord réfugié derrière l'excuse plate et sans justification aucune de mon travail. “Je ne peux critiquer mon job, vues les conséquences qui peuvent s'en suivre”. Il n'en est rien. Je n'écrirai pas sur le journalisme aujourd'hui, parce que j'en ai encore trop peu à dire. Il me semble tout simplement que j'étais arrivé au point où je n'avais plus rien à dire. Et je reprendrais ainsi la démonstration, brillante, du non moins incontournable Bernard Stiegler (cette partie me vaudra certainement des brimades innombrables d'un de mes confrères francais, mais peu importe). Prenons l'hypothèse, qui n'en est pas une, que l'intérêt de la vie est le savoir. Le savoir manuel, intellectuel, relationnel, amoureux, sexuel, politique, scientifique, humain. Et, pour parler dans des termes marxistes que j'utilise aujourd'hui de manière quasi-exclusive, tant ils me semblent éclairants et oubliés par notre Hexagone, l'homme doit actuellement, comme hier, faire face à sa propre prolétarisation. La prolétarisation n'a rien à voir avec la paupérisation, ni même avec l'absence de culture. La prolétarisation, c'est la suppression du savoir. L'ouvrier n'a pas besoin de savoir créer une machine, il doit savoir placer une pièce. L'homme n'a pas besoin de savoir cuisiner, éduquer, aimer, rêver, l'imaginaire marchand ou audiovisuel le fait pour lui. L'homme n'a pas besoin de savoir, il doit exécuter. Et c'est ici que la démonstration de Stiegler est absolument brillante: le terme “savoir”, que l'on peut considérer comme la base du sens que nous donnons à notre existence, se dit en latin “sapere”. “Sapere” est également à l'origine du terme “saveur”. En enlevant le savoir à l'homme, nous lui retirons la saveur de son existence.


Alors, je ne pense plus, je m'indigne. Je ne lis plus, j'absorbe. Je ne lutte plus, je regrette. Je n'ai rien à dire, et pourtant je le fais. Le mieux serait peut-être de se taire. Au moins un moment. Parce que nous n'avons rien à dire, parce que nous ne comprenons pas. Parce que la révolution arabe ne nous dit rien pour la simple raison que nous n'avons pas les concepts pour la saisir. Parce que le vide nous fait extrêmement peur. Nous continuons donc de parler. La dernière émission de Taddéï en est la preuve par A + B. Sans savoir, pas de saveur.

Le silence serait donc nécessaire au sens.

Des articles sensés devraient pleuvoir dans quelques semaines. Une fois le silence terminé.

Tudy

mardi 14 décembre 2010

“Une des magies de la musique est de parvenir à donner la nostalgie de ce que nous n’avons jamais connu”


Ci-dessus: moi-même, toujours sobre, tracté par un 4x4 ultra-polluant pour sortir d'une région perdue de Valparaiso. Le titre est emprunté à sieur G. Cesbron.

Mal du pays. Envie de repartir, de couper, de trancher la routine établie dans ce si bel endroit. En réalité, je m’y ancre chaque jour un peu plus. Je regarde les longs mois déjà passés ici, et je me dis qu’il en reste encore beaucoup, que ça fait du bien d’avoir le temps. Les vingt-ans, aussi stupide que cela puisse paraître, sont une petite claque. Je quitte ma décade où la maturité était un choix pour entrer dans celle où elle devient un devoir. L’autonomie une loi. La responsabilité une obligation. J’ai parfois juste envie de dormir sans en demander plus. Les célébrations ont été très particulières, puisque combinées à des départs en masses, des au revoir ou des adieux larmoyants, des fuites ou des départs. Pourtant, la vie était belle jusque-là. Se lever à des heures indues, attraper sa guitare, se planter sur le paseo Atkinson comme si c’était ma deuxième maison, jouer pendant des heures sur des cordes désafinadées (j’aime mon barbarisme). Des Italiens, des Anglais passaient en me lançant des sourires complices, pendant que je massacrais Everybody Hurts ou Sweet Home Alabama (en réalisant, d’ailleurs, que c’est une des chansons les plus fascistes que j’ai entendu de ma vie, mais bordel, belle à lacérer à coups d’accords mal joués). Le soleil disparaissait lentement, les passants avec. Je restais le yeux braqués sur le paysage, les mains sur le manche de Maria (le nom de ma guitare… Du Full Metal Jacket en puissance), le chapeau vissé sur le crâne comme incarnation du cliché du jeune bohême flânant dans les cerros de la ville. Seule la faim et la soif me ramenaient progressivement chez moi. Deux semaines à ne pas faire grand-chose, entre pseudo-vacances, derniers examens, et conversations nostalgiques avec mes futurs ex-colocataires. L’été arrivé, se barrer loin de Valpo, avoir le plaisir d’y revenir. Ce matin encore, les ballons roses de la fête d’anniversaire concoctée par mes huevones chiliens décoraient la salle à manger. Ce temps-la est terminé. Je ne travaille pas encore vraiment. Je suis encore dans les prémisses de la réalisation d’un rêve de gosse. Me prendre pour un journaliste.

Je me suis réveillé ce matin excité comme un gamin devant son cadeau lors du réveillon, attendant et redoutant le moment bref et fantastique du travail journalistique. « Tudy Bernier, periodista ». Ça en jette. Carnet de notes à la main, j’émerge avec difficulté, tente de retrouver un rythme de vie hors de la période vacances, et m’élance, fougueux comme jamais, à l’assaut de Valparaiso. Ma chef, qui paraît très bien, me donne mes premiers objectifs, balance des idées, en corrige d’autres, me donne des échéances. Je commence par errer dans les institutions culturelles chiliennes, manifestement en période de pré-vacances d’été (Vous connaissez la vanne : pourquoi ne faut-il jamais qu’un fonctionnaire dorme le matin au bureau ? Sinon, il n’a plus rien à faire l’après-midi… Ohoh). Je ne sais pas trop par où commencer. Embarqué bientôt dans une manifestation de contrôleurs des impôts en colère, je contemple la ville en effervescence, sans savoir sur qui ou sur quoi me braquer. Les premières semaines de taf seront sans doute complexes, peut-être même éprouvantes. Mais, je garde une pêche et une envie de bosser en milieu professionnel que j’avais oubliée. Les thèmes commencent à s’accumuler. J’épluche quelques journaux locaux, fais quelques appels, me balade sur des sites d’informations tous plus mal faits les uns que les autres. Je ne commence officiellement le taf que demain, et je suis déjà la tête dedans. Deux mois. Deux mois de fantasme journalistique, d’interviews, de galères, et mêmes de photographie (avec mon Samsung à 100€, j’imagine déjà la qualité de mon photoreportage). Dernier instants de presque liberté, qui déjà m’échappent. La parenthèse professionnelle s’ouvre. Les mois de cours et d’études reculent. J’ai envie de bosser, et envie de voyager aussi. Ça attendra un peu. Toujours coincé entre l’espagnol et le français, je reste en contemplation, avant d’entrer dans la prise en main. Je vais peut-être me sentir un brin seul, les companeros partis pour deux mois. Une autre page s’ouvre, et c’est toujours à moi de l’écrire. Je ne vais pas commencer aujourd’hui à m’en plaindre.

Ah. Et bénédiction de Marx tout-puissant, mon MacBook remarche. Si c’est pas beau d’avoir des colocs informaticiens.

mardi 30 novembre 2010

"Vous empiétez sur mon époque, Monsieur Carrière..."



Un bout de temps que je n’avais plus écrit, et surtout pas en français, sur ce cher blog abandonné (d'oú son caractère réduit...). La phrase ci-dessus vient de mssieur J. Paris dans un CSOJ sur HADOPI (05/05/09). Les deux photos correspondent au processus de gauchisation de ma pauvre guitare, et á une pale copie d'une photo fameuse de mon brother.


Fin du premier semestre (mais du second semestre chilien, puisqu’en fait, comme nous avons pris l’année en cours de route, la fin du semestre est celle de l’année, mais pas pour nous, donc). Fin du premier semestre. Cela fait maintenant un mois que je vis sans mon mac. Un mois d’enfer, en clavier QWERTY, sans accents, mode chilienne. Un mois que je ressemble de plus en plus á un évadé d’Atika prépubère, les cheveux en bataille style Thom Yorke dans son jeune temps, la barbe de deux semaines á peine visible, les jeans se déchirant au fil des jours, les fringues s’égarant, á droite, á gauche. Un mois que je vis la guitare sur l’épaule, dont le son écorche les oreilles de mes doux voisins, qui me contrent avec des versions hispaniques de Natacha Saint Pierre. Un mois que je me balade dans Valparaiso, les lunettes de soleil crades sur la figure, un keffieh noir et blanc autour du cou. Un mois que les cours s’éteignent, que les derniers devoirs se rendent, que les derniers travaux s’achèvent. Un mois que je dors plus que de raisons, que je m’immisce un peu plus dans l’univers chilien, où même un prof de socio vient dans une soirée, bois du coca, et chante du Quilapayun face á des étudiants sur-révoltés. Un mois que je me sens jeune et vieux. Un mois que je me tue les doigts sur des cordes de guitare trop dures. Un mois d’émerveillement face á la musique. Un mois que je ne prends plus de photos. Un mois où je découvre une petite crique aux accents bretons á quelques dizaines de kilomètres de Valparaíso. Un mois oú la vie chilienne prend tout son sens. Un mois où novembre ressemble á mai.

Fin du semestre, et la jeunesse se barre. Certains rentrent définitivement chez eux, le semestre achevé, des regrets et de la nostalgie au fond des yeux. D’autres tracent leur route vers le sud, le nord, vont vivre ailleurs, faire des stages, découvrir autre chose. Les Chiliens trouvent du taf et planifient le retour en terre d’emploi, pour payer leurs études dont les prix annuels feraient pâlir nos écoles de commerce aux coûts les plus scandaleux. Elle en prend plein la gueule, cette jeunesse chilienne. Les étudiant(e)s ont parfois, et même souvent, des gosses á 20, 21, 22 ans. Un choc frontal. En opposition totale avec la culture contraceptive ultra-ancrée des Occidentaux que nous sommes (l’avortement est évidemment proscrit, logique ultra-catho oblige). Ils jonglent entre les cours, l’éducation de leurs moutards asthmatiques, et parfois un job á temps partiel pour pouvoir crouter. Ils trouvent cela normal. Ils n’ont pas d’aide. Toutes les bourses sont orientées exclusivement sur une méritocratie tronquée, où des naufragés et des déterminés cohabitent. Ils subissent leur modèle de vie. Ils n’ont pas de RMI. Ils n’ont pas d’aides au logement. Et puis, les gens s’en balancent.

Ma guitare dans les bras, cliché d’une jeunesse rebelle sans aucune espèce de réflexion propre et originale, je me dis que la génération supérieure empiète sur mon époque.

Tudy

jeudi 11 novembre 2010

« Tantas personas para rehacer el mundo, y tan pocas para contemplarlo… »


No tenía ninguna fotografía a compartir… entonces, he robado esa foto maravillosa de una pintura de Allende, de Flo B. Espero que perdonará. Frase de titulo destacada de un fuente anónimo (quizás, Paul Valery, pero no es seguro).


Tengo ese deseo de escribir, de pensar, de ser en Chile exclusivamente en castellano, razón por la cual ese texto no tendrá su traducción en francés (excusas a los millones de lectores que todavía no hablan esa deliciosa idioma…). De toda manera, ese texto queda poco interesante, no será un sacrificio mayor.


Dos semanas antes del fin del semestre. Esos tres primeros meses me parecen, de manera retrospectiva, increíblemente cortos. No tenemos el tiempo para hacer todo lo que deberíamos hacer. Y demasiado para tomar consciencia de nuestra suerte de vivir aquí. Las calles de la ciudad se transformen en lugares familiares. El castellano, todavía difícil a utilizar de manera constante, pasa a ser mi nuevo lenguaje, aun si hago errores en cada frase, en cada conjugación, en cada pronunciación de este r de mierda que me pesa mucho. Surge la nueva dificultad de superar el nivel de “exprimirse” en castellano a una dimensión del “hablar” de verdad. De pasar del comunicar al compartir. De ver que debo alcanzar ese nivel para crear relaciones más profundas, más largas en el tiempo. Pasar de la simpatía a la amistad. Del tío al hue’on.

Vida cotidiana tranquila. Cursos a veces inexistentes. Esfuerzos permanentes para tocar la guitara, nuevo vínculo romántico con el país. Amistades verdaderas que se construyen, progresivamente. Disfrutar de ese momento efémero, sin responsabilidades importantes, sin peso profesional sobre las espaldas. Disfrutar de un año sin estrés. Es extraño de ver cómo reaccionamos a ese estilo de vida, a sus formas, a su ritmo. Como cambiar de lugar transforma la visión de nuestro origen. Si quedo extranjero, obviamente (y mi cara de pequeño gringo no me ayuda a hacer pensar el contrario), me siento cada día más acerca de Chile. De manera inesperada. En detalles. En reflejos. La mirada que puedo tener sobre mi universo (y por extensión, Europa) me parece en cambio constante. Quizás en revolución. Después de tres meses en Chile, tengo ganas de desencadenarme de la vida francesa, de sus noticias, de su vida política y cultura, que me persiguen como una forma de adicción. De romper con ese mundo, de manera entera, completa. De hacer de lo que debería ser una paréntesis en mi vida una base del futuro. Una fundación de esa evolución. Apreciar, interpretar, entender, criticar, contemplar y cambiar.

Crear una vida cotidiana no es tan fácil como lo que puede parecer. Encontrar y crear sus lugares propios, sus costumbres cotidianas, quedan tareas casi imposibles. De hecho, la gran mayoría de los estudiantes extranjeros se escapan, al norte, al sur, en Argentina, para salir de lo que puede aparecer como vacio, insuficiente, frustrante. Se someten a la tiranía del descubrimiento. Ir a visitar Chile, ver todo lo que deber visto. O, para hacer mi sabelotodo, olvidar también de contemplar ese mundo. Someterse a la tiranía del hacer sobre el vivir. Del visitar sobre el sentir. Del estar sobre el ser. ¿Cómo ser en Chile, más que estar en todos sus lados? Intentar de juntar los dos. Ser y estar. Contemplar y visitar. Apreciar y hacer. Imposible. ¿Qué otra posibilidad tenemos que la de intentarlo?

Tudy