vendredi 24 septembre 2010

''Que ma nation périsse, pourvu que l'humanité triomphe''


Billet en deux parties. Première en récit. Seconde en tribune. Phrase de titre d'Antoine Barnave, révolutionnaire français, reprise par Lamartine. Photo de Florent B., pendant notre voyage de la semaine passée.

Confession en Prologue. Ce billet arrive tardivement. La raison est que j'hésite à en publier le contenu. Ma réflexion est bien pauvre, trop peu documentée, et un brin trop facile. Mais, esprit de contradiction oblige, je me sens l'obligation de la graver sur le marbre (ou plutôt le HTML d'internet), pour la revoir et la corriger, si besoin. Pourtant, ça m'emmerde de partager des considérations sur peu enthousiasmantes après les récits passés.


Première partie. Souvenirs d'une nation.

Tout juste revenu de notre petit road-trip en zone aride, je suis pris dans la tourmente d'une ville, d'une région, d'une nation en effervescence. Cela m'amuse. Pour le moment. Nous accrochons des petits drapeaux chiliens un peu partout dans la maison. On se croirait à Noël. Les gens sont pressés, et paraissent presque heureux. Les magasins sont pris d'assaut par les ménagères, les rayons alcool sont dévalisés. Folie des grands magasins, folie des grands jours. Effervescence au niveau national. Les Chiliens profitent de ces quelques jours fériés consécutifs. Ça se sent. La soeur de mon colocataire arrive alors, accompagné de son copain, photographe hors-pair, réalisateur déjà extrêmement talentueux. La colocation, à cinq heures de l'après-midi, connaît déjà des airs de fêtes. Avec quatre heures de retard, le routard Benji Chevalier arrive à Valparaiso. Ça déconne, ça vibre, ça flambe. Discussions, réactions, échanges, et surtout apprentissage de la cueca, danse traditionnelle chilienne qui ne se danse qu'en temps de fêtes nationales. En fait, au cours de notre voyage, en pénétrant clandestinement dans une fête de village, nous avions déjà entraperçu des gamins habillés en sorte de gauchos (entendez ga-o-chos, et non pas gauchos de la CGT) et les filles en robes du pays, danser de manière originale sur une musique paraissant assez typique. La cueca se danse à deux, évidemment, et ce, à l'aide de deux mouchoirs, que chacun des danseurs tient dans la main. En réalité, c'est assez indescriptible, et très drôle à danser. A noter qu'aucun contact physique, ou presque, n'ayant lieu, toute forme de séduction doit se cantonner à une forme de subtilité très marquée... Au dessus de nos têtes, passent et repassent des F-16 au bruit tonitruant, qui rappelle la puissance militaire, en tout cas affichée, de l'armée chilienne. Puis vint l'incroyable, le surréaliste, l'étonnant, le terrifiant. Le désormais traditionnel feu d'artifice prend lieu et place au-dessus du port de Valparaiso. Les collines se remplissent d'une foule considérable, qui se rue sur les paseos, les places, pour mieux admirer la démonstration de son et de lumière qui fête, en plus, le bicentenaire de l'indépendance du pays. Feu d'artifices d'une vingtaine, sinon d'une trentaine de minutes. Les Chiliens balancent la sauce. Derrière nous, au loin, dans les collines, une, puis deux, puis trois, peut-être quatre maisons se mettent à brûler subitement. Très impressionnant. Je me demande quel feu il faut alors regarder. La foule rit ou s'étonne, puis retourne à l'appréciation du spectacle. Fort heureusement, l'incendie (pas artificiel) s'arrête bientôt. Le feu d'artifice, lui, continue. Et, tout autour de nous, les gens chantent, hurlent. Les ''¡ Chi-chi-chi ! Le-le-le ! ¡ VIVA CHILE !'', tout comme l'hymne national, résonne pendant toute la durée du ''spectacle''. Selon moi, ce dernier est ailleurs. Il est dans ces coeurs et ces esprits qui, aveuglément, hurlent, se déchainent, au nom de leur pays. Quelque chose de nouveau monte alors en moi. Quelque chose de malsain. Je me rend compte que nous ne sommes pas dans un match de foot. L'orgueil est autre. Il est national, presque ostraciste, presque raciste. Les gens sont fiers, au sens le plus profond du terme, d'être Chiliens. Pas d'être hommes, ou citoyens. C'est le pays qui compte. C'est lui qui dicte l'existence. C'est lui, l'unique raison d'une possibilité de fierté. Toute la nuit durant, les chants patriotiques résonnent dans la ville. J'ai le vertige.

Des jours durant, les mêmes épisodes ce répètent. Avec le temps, je m'habitue un peu plus à ces surgissements nationalistes soudain. Un poivrot dans un bar nous aborde, et affiche clairement un racisme décomplexé vis-à-vis des voisins d'Amérique Latine. Un gauchiste de la fac nous explique qu'il déteste les fêtes patriotiques, parce qu'elles sont de droite. Mais qu'il est fier d'être Chilien, et est nationaliste avant tout. Benjamin me dit en souriant que l'unité panaméricaine a encore du chemin à faire. Je n'arrive pas à rejeter totalement cet esprit, pas plus que je n'arrive à le comprendre, à l'accepter. Jamais un jeune français lambda n'hurlerait à pleins poumons: ''Vive la France ! Vive l'Etat français !'' lors du 14 juillet. Le pire, c'est que les Chiliens pensent que nous sommes encore plus nationalistes qu'eux, qu'ils ne sont que la face modérée du sentiment patriotique européen. Finalement, les fêtes se révèlent aussi riches en surprises, en discussions, en rencontres. Elles me laissent mal à l'aise. Un arrière-goût sale dans leur principe. J'aime la culture chilienne, quand elle ne se définit pas par sa supériorité... Mais ça, peut-être que seul un Européen taré comme moi peut le ressentir.

Attention. Deuxième partie houleuse.

18 septembre. Commémoration de la proclamation de la 1ère junte du gouvernement, soit le début du processus d'indépendance du pays.

19 septembre. Jour de ''gloire de l'Armée du Chili''.

Mise au point juridique. Contrairement à ce que m'ont soutenu des Européennes, le fait de hisser le drapeau chilien est, par le biais d'un négatif juridique, obligatoire sur tous les édifices publics et particuliers du pays lors des fiestas patrias. Pour les quelques uns qui auraient des doutes quant à cette mesure, je vous invite à visiter ceci: http://www.leychile.cl/Navegar?idNorma=18035. Ah, et j'oubliais, la République du Chili (de son petit nom complet) a largement inspiré ses institutions et son esprit ''républicain'' de nos méthodes européennes, d'où la comparaison éhontée entre elle et notre Hexagone.

J'avais effectivement remarqué (il faudrait avoir une poutre dans l'oeil pour ne pas l'avoir vu) le nombre absolument impressionnant de drapeaux qui foisonnaient du centre au nord du Chili en ces périodes de fêtes nationalistes. Et si je peux vous dire une chose, c'est que la vision ne fut pas banale. D'abord, on remarque assez aisément que l'obligation susmentionnée n'en est plus vraiment une, dans la mesure où peu de gens, enfin, je l'imagine, devront payer l'amende de 40 000$ (soit approximativement 60€) pour avoir manqué au patriotisme chilien, mais la mesure a le mérite, en plus de son originalité, d'être d'un fascisme (du moins, dans son principe) que je trouve absolument étonnant, sinon nauséabond. En effet, l'amour de sa patrie n'est ici pas un droit. Elle est un devoir. Nous remarquerons au passage que c'est exactement ce que tend à dire le gouvernement français dans ces périodes troublées. Avant qu'on me tombe dessus, je tiens à mettre en évidence que cette réflexion n'est aucunement historique mais purement théorique (je me fous ici de savoir si le nationalisme se justifie mieux au Chili qu'en France, pourquoi le décret fut prononcé, et encore plus de savoir si son contexte le justifiait). J'analyse juste sa portée de principes, et ses conséquences intellectuelles sur le monde actuel.

Alain Finkielkraut ne va pas être content. Lui qui fustige à longueur d'émissions (que je trouve, mon cher Alexis, chaque jour un peu plus partiales, faisant de lui un tribun, bien plus qu'un arbitre...) la haine véhiculée par ses compatriotes (surtout les racailles) contre le drapeau français, contre sa fantastique méritocratie, ne serait certainement pas d'accord avec la pensée néotrotskystobolchévik développée ci-dessous.

Pourquoi est-il foncièrement antirépublicain, sinon fasciste d'obliger un citoyen à hisser le drapeau national lors des fêtes patriotiques de son pays ? Il est vrai, qu'à première vue, on pourrait se dire que c'est une manière, certes coercitive, mais efficace de renforcer la cohésion nationale. Le Chili, pays très dispersé dans la répartition de sa population, comme de ses richesses d'ailleurs, a certainement besoin d'entretenir ce sentiment nationaliste afin d'assurer sa cohésion nationale, en renforçant le sentiment de chilénité (désolé pour cette traduction médiocre et barbare ; en castillan, on l'appelle la chilenidad). Le nationalisme, au travers de symboles forts comme un drapeau, un hymne, est un moyen de conserver cette appartenance commune. Le nationalisme, pesé de cette manière, serait donc le lien manquant entre l'Etat et le peuple, la création de cette société unie, forte, et capable.

Oui, sauf que ces pratiques, pour l'Européen traumatisé que je suis, sont dangereuses et intolérables. Dangereuses, parce qu'elles rappellent bien sûr les heures les plus sombres du fascisme italien, du franquisme, ou, plus en amont et de manière différente, des patriotismes européens du XIXe siècle. Intolérables ensuite, parce qu'elles nient le principe même de la République. Nombreux sont ceux qui reprochent à la revendication républicaine de se perdre dans des principes énoncés dans des périodes révolues. Ils ont tort. Ils ont tort en ce que la République, au contraire du fascisme, au contraire du communisme développé en URSS, n'est pas monolithique. La République n'est pas fixe, elle n'est pas immobile. Ses principes bougent. L'égalité hommes/femmes devant la loi, la dépénalisation de l'homosexualité, l'abolition de la peine de mort, sont tant d'exemples qui montrent que ces idées républicaines nouvelles n'étaient pas celles de nos ''pères fondateurs'' (pour utiliser la phraséologie nord-américaine). Pourtant, leur vision avant-gardiste du monde nous permet, aujourd'hui encore, de construire notre avenir, en évitant les écueils tels que ceux dans lesquels se trouve le Chili aujourd'hui. La République, du moins dans l'idée vieillote que j'en ai, c'est la liberté de chacun de ne pas adhérer à son message. La République est l'intégration par l'école, par la société, de l'autre, en lui refusant certaines pratiques, en le soumettant à sa loi, sans jamais l'obliger à l'aimer, à l'adorer. C'est exactement sur cette nuance que se différencie un régime fasciste d'une république, dans son principe. En cela, la république est le seul des régimes qui existe, qui gouverne, qui fonctionne, sans l'approbation forcée, du moins publiquement, de ses citoyens. L'important pour ce régime n'est pas l'effectivité de sa popularité parmi les citoyens. C'est même l'inverse. Sa légitimité doit être créée de manière logique, quotidienne, au travers de signes non pas imposés aux hommes, mais que l'homme s'impose à lui-même comme les meilleurs à choisir. Certains diront que cela revient au même. Entre pression légale et pression sociale, quelle différence ? Tout. Tout change entre l'apprentissage et le coercitif. Tout change entre le choix déterminé et l'oppression subie.

En cela, le Chili est aujourd'hui un Etat qui ne me semble pas républicain. Et c'est ce que je crains extrêmement fortement pour ma France natale. Nous nous acheminons, lentement, surement, vers ces mêmes écueils. La France, nous avons le droit de ne pas l'aimer, nous avons le droit de la critiquer. C'est même sa force. La République doit pouvoir ne pas être aimée, être menacée par le fascisme, être menacée par le simplisme. Ne jamais succomber à sa facilité. Ne jamais tomber dans les travers mêmes de ces mouvements démagogues totalisants. Et lui survivre, lui survivre parce qu'elle est plus vraie, plus intelligente, plus mesurée. Et qu'elle possède la force de lui résister. Nicolas Sarkozy fait aujourd'hui basculer notre république de la résistance constante à ce simplisme dangereux.

''Que ma nation périsse, pourvu que l'humanité triomphe''.

Tudy

samedi 18 septembre 2010

''On nous dit... faut lire, faut lire ! Mais non... faut vivre !''






''Le paradis, c'est des types qui doivent parler de leurs souvenirs pour l'éternité. L'enfer, c'est pareil, sauf que chacun a apporté ses diapos''.

El Gato, Philippe Gelluck

jeudi 16 septembre 2010

''It gonna be LEGEN... wait for it... and I hope you're not lactose intolerant 'cause the second half of this word is... DARY !''






I've been through the desert on a horse with no name,

It felt good to be out of the rain...

America, A horse with no name


Petite mise au point. L'article qui va suivre relate le voyage depuis Valparaiso jusqu'au désert d'Atacama, avec quatre amis étudiants. Les récits des fiestas patrias qui commencent tout juste aujourd'hui, seront donc reportés à un peu plus tard. Décalage donc. Si vous n'avez pas aimé Into the Wild, ou tout esprit romantique lié au voyage, revenez dans une semaine. Ce que vous allez lire est en fait un remaniement de nombreuses notes prises pendant la semaine.


Vendredi 10 septembre.

Nous fuyons de Valpo dans un van huit places, où nous ne sommes que cinq (Adri et Garazi, deux espagnoles, Flo, vadrouilleur sportif bilingue, Simon, compagnon de toujours, et moi-même, pour ceux que les détails intéressent. Comment, non ?). Nous fuyons sa beauté, sa réalité, ses promesses. Nous retrouverons celles d'un Chili désert, désertique, déserté. Je ne sais pas quel mot employer. Une bande de terre de 4 000 km de route, d'asphalte, de goudron, de terre. Les camions échoués le long de la route, et tout le tralala.

Les premiers instants sont magiques. Dans un van bien trop moderne pour être conforme au rêve hippie que j'en ai, nous ne savons pas où nous allons, nous ne savons pas où aller. Seuls, face à la liberté immense, et pourtant ridicule, d'une semaine de choix et de hasards face à un pays, face à un continent, face à un romantisme du voyage que tout le monde ne partage pas. Au sortir de la ville, une végétation plutôt commune, des petits villages à droite à gauche. Rapidement, l'urbain devient campagne, et nous traversons au pas de course des villages de pêcheurs, lovés face à l'océan Pacifique, qui agit sur moi avec toujours autant de force. A toute berzingue, du Bob Dylan à fond dans la voiture, nous avalons les distances, les plaines de plus en plus désertiques. Après les ''Yeeeeeeehaaaa'' du départ, l'ivresse de la porte qui s'ouvre à nous, nous rejoignons rapidement la Panaméricaine. Ou Rota 5. Trachée goudronneuse qui éventre le Chili (oui, je sais, mes métaphores sont foireuses, mais ça m'amuse), elle suit la mer, frôle les premiers massifs montagneux de la Cordillère des Andes. Elle quitte rapidement la Ve région, pour rejoindre les premières plaines arides de la IVe région, située au nord de la baie de Valparaiso. La végétation se fait de plus en plus minime, les villages moins fréquents. Alors que la nuit tombe, et que nous n'avons, bien évidemment, aucun endroit où dormir, nous nous rendons compte que les hameaux ne sont non pas rares, mais bien inexistants au long des dizaines de kilomètres que nous parcourons. Visite d'une plage venteuse, rocheuse. La nuit tombe sur le pays, nous n'avons même pas le temps d'apprécier le coucher du soleil fantastique qui s'offre à nous. Après quelques moments de léger stress, nous retrouvons les thermes de Socos, seul refuge touristique à des années-lumières (du moins dans mon imaginaire) à la ronde. Camping fermé. Tant mieux. L'hôtel hors de prix situé non loin nous indique que nous pouvons squatter les environs sans danger aucun. Nous installons le van entre deux arbres protecteurs. Nous ne savons absolument pas où nous sommes. Et nous nous en balançons éperdument. Un ciel étoilé (que je ne connais en rien, puisqu'il appartient à l'hémisphère sud...) de puta madre. Je regrette un temps mon ciel familier du nord. Et puis je m'y fais. Pas le temps, pas de lumière pour installer une tente. Tant pis. Repas frugal, quelques bières, des discussions à la belle étoile. Il fait froid. Putain qu'il fait froid. Nuit à cinq dans le van. Inconfortable. Drôle. Je dors la tête déjà pleine.


Samedi 11 septembre.

A cette heure, je ne pense pas au Twins Towers. Ni même au coup d'Etat de 1973 exécuté ce même jour. Je me réveille endolori, dans un décor que nous n'avions entraperçu que de nuit. Plutôt aride. Des premiers cactus nous font face. Un berger à cheval passe sur une colline au loin en gueulant pour faire avancer son troupeau. Son chapeau sur la tête, il me fait penser à un gaucho. Rapidement, nous levons le camp, et repartons vers le nord. Direction, le coeur de la IVe région. Impression d'être écrasé par l'ampleur de la liberté miniscule qui me fait face. Je me prends à nous voir comme un bateau à la dérive, allant où il veut, où il peut, où il doit aller.

De repente, le paysage devient désertique. Cours passage à la Serena, seule ville en activité dans cette région très peu peuplée. Sans grand intérêt. Simple point de chute pour s'envoler vers la vallée d'Elqui, terre montagneuse située à quelque distance de la Cordillère. Passage par un barrage impressionnant. Lac qui s'étend à perte de vue, d'une couleur azurée. On fait les cons. On prend des photos stupides. On se sent vivant. Nous repartons vers le cadre magique de la vallée. J'ai certainement l'air bête, et je m'en fous: jamais je ne serais rassasié de la majesté d'une montagne. Et je me dis aussi que je le serais peut-être encore moins d'un cadre désertique comme celui-là. La vallée d'Elqui est difficilement descriptible: c'est un enchaînement de montagne de terre, où nulle végétation ne pousse. Ce qui paraît être des dunes de roches immenses, et qui se multiplient. Région connue pour sa production de Pisco (sorte d'alcool à mi-chemin entre le vin et... enfin, un truc qui y ressemble, mais en plus fruité), les champs de productions s'étendent à perte de vue, depuis le flan même des montagnes jusqu'à l'aval lointain de la vallée. Le van continue sa route, à toute vitesse, en s'enfonçant à l'intérieur du Chili. Vers son coeur. Sur les conseils avisé d'un Chilien, gardant une office du tourisme improbable, logée au milieu de nulle part, nous arrivons dans le pueblito perdu d'Horcon. Village construit sur deux étages. Silence de cathédrale. Vision sur toute la vallée. Autour d'une rivière avenante, cachés par la végétation et les saules pleureurs, nous trouvons l'endroit décrit plus tôt. Endroit rêvé. A l'abri, magique. Oups, un cheval se trouve sur l'endroit où je vais planter ma toile de tente. Advienne que pourra. Plantage de tentes. Le bruit continu de la rivière nous berce. Un asado, un feu de camp, suffisent à éclairer notre soirée, sous le regard des étoiles innombrables. La comida prend une saveur toute nouvelle. Celle de l'incertitude. Les discussions pleuvent. La nuit est courte. Très froide. Très belle. Nous devions visiter un observatoire avoisinant (autre caractéristique notable de la région). Pas le temps. Je m'endors avec moins que rien pour confort qu'une couette d'un mètre sur un mètre, et des cartons en guise de matelas. Mes articulations souffrent pour moi. On se marre, on s'endort.



Dimanche 12 septembre.

Lever aux aurores. Enfin, en tout cas, c'est ce qui me semble. Un froid impressionnant. Les mains gelées, l'esprit embrumé, j'aide péniblement à démonter les tentes, avant que nous ne reprenions les routes escarpées de la Rota 5. C'est un peu notre Road 66 à nous. Pas de douche depuis deux jours, et un barbecue dans les dents. Je porte, au bas mot, trois paires de chaussettes, trois T-shirt, un coll-roulé, et une veste en cuir qui prend cher de par sa multifonction (à la fois manteau, oreiller, pull, etc.). Me sens malade. Les routes escarpées et parsemées de virages me donnent la nausée. Le paysage reste un divertissement unique, irremplaçable. Source de richesse, d'émerveillement constant. Les vallées défilent. Le lac est agité par un vent violent.

La première vraie anecdote de voyage apparaît. Après des courses-éclair au Jumbo (équivalent de notre Géant, truc insupportable et trop grand), à l'heure du départ, Adri essaye de démarrer. Le bruit est à peu près le suivant: ''TUTUTUutututuuuuu...''. L'onomatopée parle d'elle-même. Pas de batterie. Phares restés allumés. Sommes condamnés à manger notre great pique-nique sur le parking (ô combien en conformité avec la vision romantique que j'ai du voyage), et ce, à même le sol. Les gens nous prennent peut-être pour des gens du voyage (''z'ont pas d'argent, mais z'ont des voitures, hein !''). Un Chilien venu du ciel (ou, comme on l'appelle Simon et moi, du Capital) nous apporte une prise qu'il vient d'acheter pour nous offrir un peu de batterie. J'ai déjà connu de nombreuses scènes similaires avec ma maman. Pas de stress, on va repartir. Mais Dieu (ou, comme on l'appelle Simon et moi, Karl M.) s'amuse. Adri, soudainement, se rend compte qu'elle a perdu les clés. Scène tragi-comique. Le Chilien est là, avec sa caisse, les prises prêtes. Et on ne peut pas démarrer... Fouille de la voiture dans rage folle. ''¿ Tienes las llaves ? ¿ No ? ¿ Donde estan las putas llaves ?''. Le dialogue, s'il n'était pas celui-là, y ressemblait fortement. Dix minutes plus tard, les clés en poche, nous pouvons repartir, le réservoir alors à moitié-vide, vers le nord.

Le paysage est désormais un vrai désert. Les montagnes se jettent dans le Pacifique, et seule notre petite Panaméricaine (soudainement devenue, non pas une quatre voies, mais bien une deux voies... soit nos nationales françaises. Sauf qu'ici, c'est la seule route, la seule, qui joignent le nord et le sud du pays) vient entraver cette embrassade. Sourires aux lèvres. La musique s'éteint à mesure que les batteries de l'ordinateur disparaissent. Les camions sont légions, les gens qui vont à 140km/h également. On apprend rapidement les joies de tourner à droite (et encore plus à gauche) sur une route comme celle-là (soit la peur de mourir à toutes ces occasions, puisqu'il faut passer de 110km/h à 20 en l'espace de 10 secondes, sous les klaxons des routiers de passage. Nous nous enfonçons finalement sur une route de terre, accrochés à la voiture, et à nos cinq sens en plein éveil. Vingt kilomètres plus tard, des cactus plein les mirettes, une ligne de train digne d'un Western traversée, nous arrivons à Los Choros, avec pour tout bagage cinq litres d'essence dans le réservoir pour retrouver la civilisation. En d'autres termes, quarante kilomètres plus tard, nous sommes à plat. Bien moins de distance qu'il n'en faut pour trouver une station essence par ici. Dans ce village perdu, un habitant nous aide. Un vieil homme en col bleu, chemise à carreaux, pantalon tâche, chaussures poussièreuses, arrivent avec des bouteilles d'essence de SP95. Il nous en vend vingt litres. Scène très étonnante pour le petit citadin que je suis, qui ne voit l'essence que sortir magiquement de la pompe. Vous croyez que l'expérience nous aurait vacciné pour le reste du voyage ? C'est mal connaître les inconscients que nous sommes. Mais nous y reviendrons plus tard.

Los Choros est un village de rêve. Perdu entre une bande de vingt kilomètres de désert, et la même distance vis-à-vis de l'Océan lointain, il y règne un parfum d'une société qui n'existe plus que par bribes, par endroits. Après une route non-entretenue bien longue, nous voilà au bout du monde. Une pointe de terre au milieu de nulle-part. Un lieu touristique qui s'élève depuis le rien. Ou plutôt depuis le tout. On s'installe, cette fois-ci, dans un camping qui borde la mer. Ça gave de payer. Mais bon. Le feu de l'asado est faible, mais assez fort pour réchauffer les coeurs comme les esprits. A l'abri, nous plantons les tentes. On s'endort lourdement.


Lundi 13 septembre.

Réveil sans vent. Incroyable. Douche glacée. Léger retour à la civilisation, par le biais de ce camping, directement situé face à la mer. Quelques voyageurs y trouvent leur compte. Le soleil tape dur. Nous profitons. La journée se passe tranquillement. Nous arpentons les hauteurs de la Côte sauvage chilienne, qui n'est pas sans rappeler les paysages bretons, face au vent, ainsi qu'à un soleil de plomb. Dans une crique abandonnée, des campeurs aventuriers profitent d'un cadre de vie et d'une vision du Pacifique irremplaçables. Nous nous installons sur une plage ''propriété privée''. Je ne me sens pas à l'aise, malgré tout mon amour pour l'anarchisme, à squatter cette plage de sable blanc déserte, visiblement propriété d'un hôtel quelconque. L'eau reste très belle, très froide. Comme le pays, ce me semble. Le soleil tape dur. On me dit que je ressemble à un homard. Je crois que c'est vrai, vu la marque des lunettes de soleil. De retour au campement, nous profitons une dernière fois de ce cadre normée pour élever un asado et un feu de camp devenus traditions. Le rêve de voyageur s'éloigne avec ce retour à des normes plus classiques. Je le regrette un peu. Nous sommes rapidement gagnés par la tyrannie du confort. C'est plus facile comme ça. J'ai hâte de repartir, mais apprécie lâchement ce confort retrouvé. La nuit est belle. Le coucher de soleil impressionnant.


Mardi 14 septembre.

J. Kerouac + Christopher McCandless = Désert d'Atacama.


9h. Echec face à une possible excursion sur une île proche, supposée peuplée de pingouins, de baleines, et de dauphins. Les pêcheurs du coin, pourtant vieux loups de mer, ne peuvent pas sortir dans la baie, face à un vent déchaîné, à une mer agitée. Moi, je me fous de voir des pingouins. Mais bon, les autres ont l'air d'y tenir. Finalement, nous ne partons pas, supériorité de la nature oblige. Ça me va pas plus mal. Cette journée sera en fait la meilleure de toute la semaine.

Direction: le désert fleuri, soit le sud du désert d'Atacama, le, ou l'un des déserts les plus arides au monde. Toute la journée, nous roulons, nous roulons, et nous roulons encore. J'ai encore dans la tête la ligne blanche de la route qui semble s'étendre à l'infini. Le paysage maritime laisse rapidement place à des routes montagneuses et arides. Entre deux plaines désertes, des petits villages de pêcheurs ou de touristes apparaissent, la mer en arrière-plan. Immersion fictive au sein d'une liberté retrouvée. Impression débordante d'un fantasme de voyageur enfin assouvit. Et là, à l'instant où nous ne nous y attendons pas, le désert fleuri apparaît.

Tous les cinq ans environ, un courant sous-marin ironiquement appelé ''El Niño'' (l'Enfant), apporte un anticyclone nouveau. Par je ne sais trop quel phénomène climatique probablement passionnant, mais dont je me contrefous malheureusement, des pluies plus importantes tombent alors sur la région désertique. De là, d'improbables fleurs viennent à voir le jour, au milieu de rien. Comme ça. Au milieu de nulle part. Tout à coup, des couleurs roses, bleues, blanches, jaunes, viennent donner vie aux terrains stériles du désert. Et ma culture de geek ne me dit qu'une chose: bordel, on se croirait dans un Final Fantasy, ou un Myazaki. Comme le Dieu-cerf de Princesse Mononoké qui de rien vient faire naître des fleurs sous ses pieds. Le bulbe apparaît, la fleur avec. Pour un temps restreint, une seconde ou six mois, qu'importe, le lieu s'en trouve changé, bouleversé. Avec magie. La vision est tout simplement hallucinante. Féérique. Je me prends pour Squall, ou Achitaka. C'est vraiment beau à pleurer. Les champs de fleurs apparaissent ça et là. Nous sommes émerveillés.

Rarement je n'ai autant apprécié la partie ''voyage'', déplacement, d'un voyage. La route est à nous. Nous nous arrêtons, le temps d'une photo, d'un arrêt, ou d'une clope. Les paysages, les villages. Tout semble ouvert, riche, possible. Les quelques villes, tellement rares, qui se trouvent entre la Serena et Antofagasta sont semblables à des villes de Western. Daisy Town. Petites, fondées, sur du sable. La nuit, les lumières apparaissent au milieu de rien, disparaissent en un rien de temps. Une ligne ridicule de chemin de fer vient renforcer encore un peu plus cette vision d'un endroit oublié, perdu. J'adore ces visions sans marque humaine. Nous sommes la tâche du désert de Beauté. Nous sommes l'intrus d'un milieu naturel sauvage, qui nous dépasse, nous dépassera toujours. On sort de la Panaméricaine. Ou la Panam' comme j'aime à l'appeler pour faire semblant qu'elle m'est familière. On prend une route de terre en piteux état. Rectiligne. Elle se fond jusqu'à l'horizon. Je suis dans un état (prochhhe de l'Ohioooo) d'émerveillement complet. Visite de Puerto Viejo. Petit Valparaiso face à la mer. Des maisons de toutes les couleurs. Pas une âme qui vive dans le village qui nous parcourons de long en large. Tout est fermé. Ce que le Guide du Routard présentant comme un village populaire de pêcheurs est en fait le refuge de riches Chiliens (enfin riches... disons, résidents de deux maisons) pour les week-end et les vacances. Un village entier. Fantôme. En tout cas, en ce mardi de septembre. Après avoir visité des routes de sable improbables, visité des plages ''vierges'' loin de l'être (tout est bon pour appâter le touriste), nous choisissons d'établir notre camp de fortune entre deux rochers, à quelques mètres de la plage. De ce rien, nous faisons un feu, une chaleur, d'où émane des rires, des discussions, et même Tintin. Enfin, je crois. Au réveil, je me sens complètement conquis. Face à la mer agitée dès cet instant, j'ai l'impression d'embrasser le pays. Le désert s'étend derrière nous, paisible. L'image du brouillard jouant avec les vagues alors que le soleil tarde à se lever restera.



Mercredi 15 septembre.

Quelques minutes pour apprécier l'écume des vagues nous ayant bercé toute la nuit. Petit-déjeuner frugal, comme dab', tentes pliées. Van enfoncé dans le sable. Quelques instants d'efforts plus tard, nous revoilà sur la route du nord. Objectif ultime: Caldera et sa côte voisine. Petit village de pêcheurs sympathique. Visite rapide d'un port multicolore. A huit cents kilomètres de Valparaiso, je me sens loin, très loin.

Michael Jackson en fond sonore. Très fort. Quelques clichés sur les plages abandonnées des alentours. Derniers instants de farniente face à l'océan, décidément énervé. Les vagues viennent s'exploser sur les rochers que nous parcourons. Van absolument sale, crasseux. Nous aussi. J'ai les cheveux en bataille, l'esprit occupé, le coeur ailleurs, le jean tâché. Envie de découvrir davantage. D'y passer plus de temps, plus de vie. De pouvoir rouler encore dans cette liberté fictive. De se sentir vivant dans le voyage, encore un peu.

Mer. Montagne. Désert. Trois éléments. Le Chili.

Heure du retour, déjà. Je regarde les kilomètres s'effacer alors que nous roulons vers le sud avec une nostalgie certaine. Fin de l'histoire.


Fin de l'histoire ? Pas encore. L'expérience est une chose étonnante. Alors que nous quittons Copiapo, personne ne voit que notre réservoir n'est rempli qu'à un quart de sa capacité. Et au Chili, les stations ne voient le jour que tous les... 178 kilomètres. En tout cas, dans la IIIe région, telle est la loi. Après la moitié de cette distance parcourue, nous nous rendons compte de cette erreur. Grosse erreur. On en rit, on se marre. La nuit tombe. On roule à 70 pour essayer d'atteindre la station prochaine. Impossible. L'aiguille descend douloureusement sous la barre du minimum d'essence. Ouille. Ça stresse, ça imagine des scénarios catastrophes. Il est vrai qu'une panne sur une route comme celle-là, merci. Premier arrêt. Pas d'essence. Deuxième arrêt. Un litre et demi à portée. Trop peu, bien trop peu. Va-t-on dormir dans le désert, au bord d'une route si passagère ? Un autre Chilien providentielle, la chemise tâchée, une dent en moins, vient, ex-nihilo, à notre rescousse. Il parle vite, avec le sourire. De son bidon d'essence planqué dans son coffre, il commence à siphonner du sans-plomb. Alors qu'il a la bouche pleine d'essence, et que l'effet des vases communicants prend corps, il lâche: ''quelqu'un aurait une clope ?''. J'explose de rire. Il nous vend, pour une bouchée de pain, les litres manquants à notre route. Excellent.

Dernière nuit à l'intérieur des terres chiliennes. Ne voulant renouveler l'expérience du van, je dors seul dans une tente à proximité. Le ciel est beau. Très, très beau. La poésie de l'endroit est à tomber à la renverse. Je respire l'air frais des alentours, et m'engouffre dans un sommeil profond et trop court. Les derniers instants de route avant le retour restent fidèles à eux-mêmes. Pas envie de lire. Ni de parler. Juste de voir, de regarder, de saisir le décor qui m'entoure. Fin de l'histoire.


Bordel, il y aurait tellement plus à dire, tellement plus à décrire d'un voyage pareil. Mon récit est déjà trop long, déjà trop court. Le reste n'est malheureusement qu'à nous. Le tout est nécessairement à refaire.


Tudy

mercredi 8 septembre 2010

''J'ai des questions à toutes vos réponses''


Nous parlons même langage

Et le même chant qui nous lie

Une cage est une cage

En France comme au Chili


J. Ferrat, Complainte de Pablo Neruda


Comme je ne prends pas assez de photos, je fais de la récup'. Ci-dessus: plaza Ecuador, un dimanche matin de septembre. Au passage, cet article est ponctué de petits clins d'oeil, et c'est insupportable. Puisses tu m'en excuser, Ô lecteur.


Je ne sais plus en quelle langue je pense. Je me prends à rêver en espagnol, à rire en anglais, à m'énerver en français. Entre les nouvelles navrantes de l'Hexagone, et les quelques émissions d'histoire en espagnol (miam !), je suis encore dans une zone très schizophrénique de ma pensée linguistique. Je mélange les verbes, échange les mots, multiplie les cacologies et autres barbarismes (comment ça, je suis pas clair ?). Si mon style en est affecté, que l'on ne s'étonne point.


Du Chili dans une vie quotidienne.


Les Chiliens sont fous. Fous. Par exemple, ce soir, mes colocs m'ont trainé à una peña (sorte de fête estudiantine) qui prenait lieu et place... dans l'Université en elle-même. C'est-à-dire que les étudiants boivent, écoutent de la musique, font la fête, à l'intérieur même de leurs locaux. Le Chili est un pays étonnant. Je pense que, pour faire la même chose à Sciences Po Lille, il faudrait donner un rein en gage de caution. Ou alors, le faire à la Sorbonne lors d'un mois d'agitation sociale et estudiantine. Je suis à la fois émerveillé, et profondément dérangé. Les Chiliens sont fous.

Commencent en ce début septembre ce que les Chiliens appellent les fiestas patrias. Sorte de 14 juillet sur une semaine, synonymes de vacances (une semaine, wéééé !), et d'évènements nombreux. Alors, au lieu d'un feu d'artifice, et d'un défilé militaire (concepts qui font fureur dans ma France natale, fêtant la prise de la Bastille, événement symbolique, mais inutile s'il en est un...), le Chili fête lui son indépendance. Cette année, il fête même le bicentenaire de l'indépendance (comme disaient les inconnus: ''c'est grâce à des gens comme Jack Lang qu'on fête le bicentenaire. Parce que, je vous rappelle, sous Giscard on l'avait pas fêté le bicentenaire, hein !") du pays. Fleurissent alors partout, mais alors partout, les trois couleurs chiliennes, bien différentes du drapeau tricolore français, puisqu'elles sont rouge, blanche, et bleue. Les drapeaux sont partout. Aux fenêtres, sur les magasins, les voitures, les bus, les taxis, les affiches publicitaires. Le mec qui vous vend d'habitude des conneries tombées du camion se reconvertit en patriote convaincu, et propose à la pelle des drapeaux aux couleurs nationales. Et je réflexionais (un des fameux barbarismes que j'évoquais plus haut) qu'un tel élan nationaliste était aujourd'hui improbable, sinon impossible, dans notre bel Hexagone. Et je ne sais pas si cela est plus mal. Je regrette cependant de ne pas avoir apporté avec moi un drapeau européen, histoire de faire un peu de provocation, et de revendiquer mes couleurs à moi.

Je vis désormais avec trois Chiliens. Je suis aux anges. Mon fameux Jorge, funky comme tout, dont le rire ferait passer Dominique Farrugia pour un introverti ; Soraya, colocataire de toujours, timide et charmante ; et Mélissa, assistante sociale frisant la trentaine, gentille comme pas deux, dont l'accent m'empêche encore de comprendre de manière fluide ses blagues multiples. La vie quotidienne est belle, vivante, drôle. Et je crois que je ne changerai cette immersion dans l'univers chilien pour rien au monde, ou presque.


Du Chili dans une vie politique.

Fatigué des évènements politiques attristants de ma France natale, j'essaie alors de me tourner vers d'autres perspectives sud-américaines. Que ce soit ce huevon de Piñera (Sarkozy local), les mouvements sociaux estudiantins prenant de l'ampleur, les rapports à l'histoire révolutionnaire du continent, tant de sujets mélangent avis attendus, et perspectives étonnantes. Depuis les visions romantiques attendus des fils de gauchistes, regrettant la période Allende, jusqu'aux étudiants en mal d'opinion politique, encore en pleine formation, en passant (par la Lorraine !) par les personnes clairement inintéressées par ce type de réflexions... Le pays est riche, très riche, beaucoup plus dispersé dans ses avis que je ne m'y attendais. Les lectures se superposent, et ne se ressemblent pas. Impression d'un trop plein à connaître, d'un besoin d'apprendre, d'une nécessité intellectuelle à assouvir. Ça, c'est ce que j'appelle le bonheur, m'ssieurs dames.

Mon frère me demandait quand j'allais prendre ma carte au parti ''marxiste'' (heu... Dude, ça existe pas le parti marxiste... Le marxisme est un ensemble de théories philosophiques et politiques, qui ne peut, du moins aujourd'hui, définir clairement une orientation politique, telle qu'elle doit être revendiquée par tout parti politique se voulant un brin audible. De fait, un parti peut être marxiste, dans ses caractéristiques, mais plus difficilement, marxiste dans son essence, soit dans son nom et son entière définition d'un projet politique réel. Mais passons). Et je crois que cela inquiète aussi certains de mes proches (qui se reconnaîtront, j'en suis sûr). J'avoue être réellement conquis par un certain esprit chilien, ou plutôt sud-américain, vis-à-vis de l'évolution historique du monde. Entre les lectures données par nos profs, les documentaires pro-Allende ou pro-castristes, les rencontres avec des gauchistes pure souche, cela provoque la nécessité, sinon de s'engager, du moins de se cultiver, de changer de regard, de mettre en perspective ses convictions profondes, de faire une révolution, au moins de son propre intellect (ça y'est, mon père a fait une crise cardiaque). Et l'on manque cruellement de cela, en Europe. En tout cas, c'est mon avis. Non pas de la connerie que peut produire (et que produit même) l'idéologie, qu'elle soit réactionnaire ou progressiste d'ailleurs, sinon de l'émulation intellectuelle qu'elle génère. De la ferveur qu'elle provoque. De l'amour de la vie qu'elle partage. Non pas par l'adhésion complète et indéfectible à ses principes, sinon dans ce qu'ils ont de révélateurs de nos propres contradictions, et en ce qu'ils permettent de les repenser. Et, ne serait-ce que par cela, uniquement cela, j'ai déjà ''pris ma carte au parti marxiste'', si l'on entend que cela revient à réfléchir sur sa propre appartenance politique. Simon me parle souvent du fait qu'il faut ''apprendre à lire, après avoir appris à lire''. Soit lire vraiment, en comprenant, en s'investissant. Je pense que c'est la même chose pour la pensée politique. Toujours réapprendre à penser, après avoir appris à penser. Bon, j'ai été un peu démonstratif, je m'en repends.



Du Chili moche (cette partie va faire bader mes vieux. Je leur demande donc de ne pas stresser, je tente juste ici d'esquisser une vision réaliste de ce que je vois et vis au Chili, et cela ne veut pas dire que je suis dans une cité de tous les dangers. Au passage, l'indice de corruption serait plus élevé en France qu'au Chili. Ça donne à réfléchir, non ?).


Le Chili est aussi, et j'insiste sur cet aussi, laid. Très laid. Heidegger disait: ''qui ne sait pas penser, se contente de raconter des histoires''. Je l'emmerde.


    • Un mec patibulaire s'approche de nous dans une rue passante, en milieu de soirée. L'air complètement névrosé. Très vilain. Il me regarde, et essaye de me prendre à part. Je ne comprend pas, et je m'écarte. Mon colocataire s'interpose. Discussion étrange. Je capte des bribes de paroles, mais n'arrive pas à assembler le puzzle. Le type continue à me regarder. Et me dire des choses que je ne capte pas. C'est à moi qu'il veut parler, visiblement. Je m'en vais (''monsieur, je vous méprise'', pensai-je presque tout fort). Mon coloc' me rattrape. Le gars voulait me vendre de la cocaïne. En l'ignorant magnifiquement, nous continuons notre route. Dingue qu'on puisse vendre de la coke dans la rue. Histoire de rien du tout. Ce n'est pas tant le caractère totalement original de cette altercation dangereuse, attristante, d'un drogué quelconque, qui me frappe. Sinon que je suis, en tout lieu, en tout temps, directement identifié comme un gringo. A la première vue, tout Chilien peut savoir que je suis étranger, et donc la personne à niquer, pour parler clairement. Joder. Petit blanc perdu dans l'azur sud-américain, je suis un remarqué au milieu du paysage. Histoire de rien du tout.

    • J'étends mon linge à la fenêtre. Une voisine italienne se pointe dans la rue. Conversation cordiale, drôle. Nous parlons plusieurs minutes avec un plaisir non feint. Un homme, blanc, rasé, l'air gringo (comme moi, quoi), arrive en courant dans la rue. Dans un mélange approximatif d'anglais et d'espagnol, il nous fait comprendre qu'il cherche un mec qui serait passé par la rue en courant. Pas vu. Il nous apprend qu'il vient de se faire chourer son appareil-photo. Je ne peux que compatir. Outch. J'apprendrai plus tard qu'il était Suédois, et n'avait apparemment que peu conscience des risques de vol à la tire d'ici. Je referme ma fenêtre.



Non, je ne souhaite pas ici renforcer la psychose sécuritaire qui, en Europe ou en Amérique du Sud, est déjà assez soutenue comme cela... Mais c'est aussi ça l'expérience, non ? Distinguer le laid, en prendre pleinement conscience, pour n'en apprécier que plus, bien plus, le beau, le magnifique, et l'irremplaçable.


Je me prends à penser que ce monde violent, en France comme au Chili, m'est totalement incompréhensible. ''L'humanité n'a peut-être que ce qu'elle mérite''. Au fond de moi, pourtant, je me dis que ''si Dieu existe, j'espère qu'il a une bonne excuse''.


Tudy

jeudi 2 septembre 2010

''Il ne s'agit pas de stigmatiser une population en particulier. Bien d'autres étrangers sont responsables d'agressions''.


Une fois par mois, jeune insouciant que je suis, faisant ma ''ratatouille'' politique et existentielle (merci Flauflau), j'ai le besoin d'écrire sans exposer.


Ah, une petite précision, avant toute chose. Je vis bien dans un appartement, et non dans une auberge de jeunesse. Non, je dis ça au cas où. N'est-ce pas, M. Mary ?

Le titre lui est d'ailleurs dédié, comme à M. Hortefeux. Je ne sais pas comment il n'éclate pas de rire en disant des conneries pareilles. Ça pourrait être un sketch de Coluche.


Si te tratan como a un delincuente (ladrón)

No es tu culpa, dale gracias al regente

Que arrancara el problema da raíz

Y cambiar al gobierno de nuestro país

(...)

Hay personas que se están enriqueciendo

Gente que vive en la pobreza

Nadie hace nada porque a nadie le interesas


Molotov, Gimme tha power


Je renifle un brin l'air poisseux de la ville. Dehors, les passants continuent d'aller bon train, malgré l'heure tardive qui me pousse à plonger dans les méandres de l'écriture, avec tout ce qu'elle m'apporte, et tout ce qu'elle me prend. Pourquoi donc l'accomplissement laisse-t-elle facilement place à la vacuité ? Je ne sais pas où je suis, ni ce que je fais, et pourtant, je n'est jamais été aussi confiant de mon état présent. J'ai oublié ce que j'étais, ce que je suis. Je veux abandonner le reste derrière, ne garder que ce qui m'importe, que ce qui m'apporte, que ce qui me partage, m'élance, me rabaisse, me hante. Je veux garder la force et la fougue de mon année passée. Acquérir la sagesse de mon année à venir. Rester vertueux. Croire en quoi ? Pas en Lui. Pas en eux. En l'Homme, j'imagine. La force de croire que dans la société figée et dévastatrice dans laquelle nous vivons, où l'homme s'achète à la femme qui se vend, où l'argent est un Eldorado et le reste un détail du paysage, qui porte chaque jour tout un chacun vers son propre enfermement, qui nous ouvre les portes pour nous enfermer, qui nous montre le monde pour mieux nous le voiler, qui nous fait nous complaire dans un système que l'on hait, en nous mettant en garde contre vents et marées d'idées salvatrices qui pourraient bouleverser un ordre en place, ne restera pas assez stable pour que chaque mouton y trouve son compte, et puisse, l'été venu, se faire tondre comme un parfait petit automate. Où est donc la solution salvatrice ? Moi qui ai toujours voulu changer les choses, qu'est-ce qui me permettra de me différencier du crétin mécontent de Télérama ? La volonté seule est maîtresse des choses, et si je parviens à en éviter la perversion, peut-être pourrais-je... Quelle ironie ! S'auto-ordonner de résister à la toute puissance du Moi dans un environnement qui n'exalte que lui. Résister à cela. Se mordre, se taire, se battre. Solutions ? Se savoir et se connaître. Quel plus grand ennemi pour soi que soi-même ? Garde tes ennemis près de toi, et toi-même encore plus proche. Confiance. Prudence. Ordonner les deux pour se faire. Lire. S'instruire. Arrêter les conneries. L'envie fait partie de ce diabolique tandem qui nous fait marcher sur un fil, et atteindre un horizon. Ne pas être trop aigri. Seulement conscient de ce qui nous entoure. Curieux. Optimiste. La seule solution est ici ! Le sourire. La conscience. L'ambivalence est là.


Ce matin, je n'ai pas cours. Je n'ai pas cours, et ce, parce que les mouvements sociaux étudiants ont commencé. Et me voici face à mes propres contradictions, et à ma propre lâcheté. Gandhi, comme s'amuse à me le rappeler à longueur de journée ce marxiste de Simon, disait, parait-il, ''qu'entre la lâcheté et la violence, [il] choisirait toujours la violence''. Selon les opinions contradictoires que j'en ai, un étudiant étranger n'a pas le droit de manifester ici. C'est-à-dire que si jamais la manif' se barre un brin en live, ledit étudiant risque de se faire retirer son visa, voire renvoyer chez papa/maman. Face à cette menace nouvelle, j'ai préféré pour l'instant ne pas tenter le diable. Décision difficile à prendre, risques à sous-peser, dilemme cornélien en vue. Je pense à tous mes potes frenchies qui n'iront pas manifester le 7 septembre. Ça m'énerve, d'être prostré par la légalité, quand la liberté des autres n'est pas utilisée. Bordil.


Nouveau colocataire. Jorge est un Chilien du sud: barbe de 79 jours, cheveux longs, le regard amusé derrière ses lunettes rondes. Etudiant en administration publique. Je reviens d'un match de foot meurtrier, où j'ai perdu un genou, et qui sait, peut-être la possibilité de ne jamais faire d'enfants, après une trajectoire de ballon infortunée, et je le croise enfin dans les couloirs de mon appart'. On discute rapidement. Je m'en vais dormir... je me retourne, et je lui demande s'il veut partager une bière. Et nous sommes partis. Directement, quelle surprise, après quelques formalités d'usage sur nos provenances respectives, nos villes natales, et nos projets cette année, nous parlons de politique. Jorge est dans une situation que je qualifierais de contradictoire: fils d'un militaire, qui donc était militaire durant la période 1973-1990, et partie prenante de l'administration Pinochet, il fait face à l'histoire de son pays, comme à son évolution politique, avec un cynisme qui me désarçonne. Il justifie l'élection de Piñera, et, en partie, le coup d'Etat de Pinochet. Il fustige les appels démocratiques hypocrites, et argue que, de toute façon, le Chili est, et a toujours été, directement dépendant des Etats-Unis. Il taille son raisonnement à la serpe: le romantisme gauchiste ne lui parle pas. Il veut du pragmatisme, se contrefout de la gauche comme de la droite, qu'il dénonce à peu près dans les mêmes proportions, prône une économie capitaliste renouvelée. Et peu d'idées politiques. Et il en va de cela avec à peu près tous les sujets. De la cause Mapuche, au conflit larvé avec les pays voisins (Pérou, Bolivie, Argentine), il ne mâche pas ses mots. ''L'Amérique Latine a longtemps été jalouse du développement du Chili. Le Brésil est en passe de devenir ce nouveau leader économique. L'Argentine a échoué à occuper un tel poste''. On dirait qu'il s'intéresse, et s'en balance en même temps. Il parle d'impérialisme yankee, et ce, comme c'était devenu une forme de norme, une évolution ancrée dans l'histoire du continent. J'essaie de ne pas passer pour l'Européen couillon de base. Mais je lui rappelle tout ce que je peux sur l'oppression américaine sur l'Amérique Latine, depuis la Doctrine Monroe, jusqu'aux interventions reaganiennes au Nicaragua. Depuis l'emploi français du mot ''Américain'' pour désigner uniquement les Etatsuniens, jusqu'à l'élection démocratique d'Allende, salement stoppée. Il acquiesce. En vérité, il est cultivé, blasé, et ouvert à une politique que je ne connais pas, qui ne me parle pas. Il parle de projets locaux, de développement ciblé, sans idées derrière. Comme un décorateur, un administrateur. Etrange. Par ailleurs, il est juste excellent en tant que colocataire. J'en demande pas plus.


Pour mes autres états d'âme, je vous renvoie au dernier article de sieur Chevalier (blog mentionné dans un article précédent), qui dépeint d'une manière extrêmement exacte l'impossibilité d'être subjectif dans un tel voyage. L'impossibilité que nous avons de vivre sans réfléchir, de prendre sans demander, de profiter gratuitement. Et, selon moi, c'est tant mieux. A chacun ''la découverte, ou l'ignorance'' (formule facile s'il en est, mais que j'apprécie quand même).

Petite nostalgie du pays. Il ne sera plus le même quand je reviendrai, et je ne serai plus le même. Est-il possible de se revoir soi-même ?


Comme dit mon très cher Xavier, Die Leute sagen immer, die Zeiten werden schlimmer. Die Zeiten bleiben immer, die Leute werden schlimmer. Je vous laisse méditer.


Tudy