vendredi 24 septembre 2010

''Que ma nation périsse, pourvu que l'humanité triomphe''


Billet en deux parties. Première en récit. Seconde en tribune. Phrase de titre d'Antoine Barnave, révolutionnaire français, reprise par Lamartine. Photo de Florent B., pendant notre voyage de la semaine passée.

Confession en Prologue. Ce billet arrive tardivement. La raison est que j'hésite à en publier le contenu. Ma réflexion est bien pauvre, trop peu documentée, et un brin trop facile. Mais, esprit de contradiction oblige, je me sens l'obligation de la graver sur le marbre (ou plutôt le HTML d'internet), pour la revoir et la corriger, si besoin. Pourtant, ça m'emmerde de partager des considérations sur peu enthousiasmantes après les récits passés.


Première partie. Souvenirs d'une nation.

Tout juste revenu de notre petit road-trip en zone aride, je suis pris dans la tourmente d'une ville, d'une région, d'une nation en effervescence. Cela m'amuse. Pour le moment. Nous accrochons des petits drapeaux chiliens un peu partout dans la maison. On se croirait à Noël. Les gens sont pressés, et paraissent presque heureux. Les magasins sont pris d'assaut par les ménagères, les rayons alcool sont dévalisés. Folie des grands magasins, folie des grands jours. Effervescence au niveau national. Les Chiliens profitent de ces quelques jours fériés consécutifs. Ça se sent. La soeur de mon colocataire arrive alors, accompagné de son copain, photographe hors-pair, réalisateur déjà extrêmement talentueux. La colocation, à cinq heures de l'après-midi, connaît déjà des airs de fêtes. Avec quatre heures de retard, le routard Benji Chevalier arrive à Valparaiso. Ça déconne, ça vibre, ça flambe. Discussions, réactions, échanges, et surtout apprentissage de la cueca, danse traditionnelle chilienne qui ne se danse qu'en temps de fêtes nationales. En fait, au cours de notre voyage, en pénétrant clandestinement dans une fête de village, nous avions déjà entraperçu des gamins habillés en sorte de gauchos (entendez ga-o-chos, et non pas gauchos de la CGT) et les filles en robes du pays, danser de manière originale sur une musique paraissant assez typique. La cueca se danse à deux, évidemment, et ce, à l'aide de deux mouchoirs, que chacun des danseurs tient dans la main. En réalité, c'est assez indescriptible, et très drôle à danser. A noter qu'aucun contact physique, ou presque, n'ayant lieu, toute forme de séduction doit se cantonner à une forme de subtilité très marquée... Au dessus de nos têtes, passent et repassent des F-16 au bruit tonitruant, qui rappelle la puissance militaire, en tout cas affichée, de l'armée chilienne. Puis vint l'incroyable, le surréaliste, l'étonnant, le terrifiant. Le désormais traditionnel feu d'artifice prend lieu et place au-dessus du port de Valparaiso. Les collines se remplissent d'une foule considérable, qui se rue sur les paseos, les places, pour mieux admirer la démonstration de son et de lumière qui fête, en plus, le bicentenaire de l'indépendance du pays. Feu d'artifices d'une vingtaine, sinon d'une trentaine de minutes. Les Chiliens balancent la sauce. Derrière nous, au loin, dans les collines, une, puis deux, puis trois, peut-être quatre maisons se mettent à brûler subitement. Très impressionnant. Je me demande quel feu il faut alors regarder. La foule rit ou s'étonne, puis retourne à l'appréciation du spectacle. Fort heureusement, l'incendie (pas artificiel) s'arrête bientôt. Le feu d'artifice, lui, continue. Et, tout autour de nous, les gens chantent, hurlent. Les ''¡ Chi-chi-chi ! Le-le-le ! ¡ VIVA CHILE !'', tout comme l'hymne national, résonne pendant toute la durée du ''spectacle''. Selon moi, ce dernier est ailleurs. Il est dans ces coeurs et ces esprits qui, aveuglément, hurlent, se déchainent, au nom de leur pays. Quelque chose de nouveau monte alors en moi. Quelque chose de malsain. Je me rend compte que nous ne sommes pas dans un match de foot. L'orgueil est autre. Il est national, presque ostraciste, presque raciste. Les gens sont fiers, au sens le plus profond du terme, d'être Chiliens. Pas d'être hommes, ou citoyens. C'est le pays qui compte. C'est lui qui dicte l'existence. C'est lui, l'unique raison d'une possibilité de fierté. Toute la nuit durant, les chants patriotiques résonnent dans la ville. J'ai le vertige.

Des jours durant, les mêmes épisodes ce répètent. Avec le temps, je m'habitue un peu plus à ces surgissements nationalistes soudain. Un poivrot dans un bar nous aborde, et affiche clairement un racisme décomplexé vis-à-vis des voisins d'Amérique Latine. Un gauchiste de la fac nous explique qu'il déteste les fêtes patriotiques, parce qu'elles sont de droite. Mais qu'il est fier d'être Chilien, et est nationaliste avant tout. Benjamin me dit en souriant que l'unité panaméricaine a encore du chemin à faire. Je n'arrive pas à rejeter totalement cet esprit, pas plus que je n'arrive à le comprendre, à l'accepter. Jamais un jeune français lambda n'hurlerait à pleins poumons: ''Vive la France ! Vive l'Etat français !'' lors du 14 juillet. Le pire, c'est que les Chiliens pensent que nous sommes encore plus nationalistes qu'eux, qu'ils ne sont que la face modérée du sentiment patriotique européen. Finalement, les fêtes se révèlent aussi riches en surprises, en discussions, en rencontres. Elles me laissent mal à l'aise. Un arrière-goût sale dans leur principe. J'aime la culture chilienne, quand elle ne se définit pas par sa supériorité... Mais ça, peut-être que seul un Européen taré comme moi peut le ressentir.

Attention. Deuxième partie houleuse.

18 septembre. Commémoration de la proclamation de la 1ère junte du gouvernement, soit le début du processus d'indépendance du pays.

19 septembre. Jour de ''gloire de l'Armée du Chili''.

Mise au point juridique. Contrairement à ce que m'ont soutenu des Européennes, le fait de hisser le drapeau chilien est, par le biais d'un négatif juridique, obligatoire sur tous les édifices publics et particuliers du pays lors des fiestas patrias. Pour les quelques uns qui auraient des doutes quant à cette mesure, je vous invite à visiter ceci: http://www.leychile.cl/Navegar?idNorma=18035. Ah, et j'oubliais, la République du Chili (de son petit nom complet) a largement inspiré ses institutions et son esprit ''républicain'' de nos méthodes européennes, d'où la comparaison éhontée entre elle et notre Hexagone.

J'avais effectivement remarqué (il faudrait avoir une poutre dans l'oeil pour ne pas l'avoir vu) le nombre absolument impressionnant de drapeaux qui foisonnaient du centre au nord du Chili en ces périodes de fêtes nationalistes. Et si je peux vous dire une chose, c'est que la vision ne fut pas banale. D'abord, on remarque assez aisément que l'obligation susmentionnée n'en est plus vraiment une, dans la mesure où peu de gens, enfin, je l'imagine, devront payer l'amende de 40 000$ (soit approximativement 60€) pour avoir manqué au patriotisme chilien, mais la mesure a le mérite, en plus de son originalité, d'être d'un fascisme (du moins, dans son principe) que je trouve absolument étonnant, sinon nauséabond. En effet, l'amour de sa patrie n'est ici pas un droit. Elle est un devoir. Nous remarquerons au passage que c'est exactement ce que tend à dire le gouvernement français dans ces périodes troublées. Avant qu'on me tombe dessus, je tiens à mettre en évidence que cette réflexion n'est aucunement historique mais purement théorique (je me fous ici de savoir si le nationalisme se justifie mieux au Chili qu'en France, pourquoi le décret fut prononcé, et encore plus de savoir si son contexte le justifiait). J'analyse juste sa portée de principes, et ses conséquences intellectuelles sur le monde actuel.

Alain Finkielkraut ne va pas être content. Lui qui fustige à longueur d'émissions (que je trouve, mon cher Alexis, chaque jour un peu plus partiales, faisant de lui un tribun, bien plus qu'un arbitre...) la haine véhiculée par ses compatriotes (surtout les racailles) contre le drapeau français, contre sa fantastique méritocratie, ne serait certainement pas d'accord avec la pensée néotrotskystobolchévik développée ci-dessous.

Pourquoi est-il foncièrement antirépublicain, sinon fasciste d'obliger un citoyen à hisser le drapeau national lors des fêtes patriotiques de son pays ? Il est vrai, qu'à première vue, on pourrait se dire que c'est une manière, certes coercitive, mais efficace de renforcer la cohésion nationale. Le Chili, pays très dispersé dans la répartition de sa population, comme de ses richesses d'ailleurs, a certainement besoin d'entretenir ce sentiment nationaliste afin d'assurer sa cohésion nationale, en renforçant le sentiment de chilénité (désolé pour cette traduction médiocre et barbare ; en castillan, on l'appelle la chilenidad). Le nationalisme, au travers de symboles forts comme un drapeau, un hymne, est un moyen de conserver cette appartenance commune. Le nationalisme, pesé de cette manière, serait donc le lien manquant entre l'Etat et le peuple, la création de cette société unie, forte, et capable.

Oui, sauf que ces pratiques, pour l'Européen traumatisé que je suis, sont dangereuses et intolérables. Dangereuses, parce qu'elles rappellent bien sûr les heures les plus sombres du fascisme italien, du franquisme, ou, plus en amont et de manière différente, des patriotismes européens du XIXe siècle. Intolérables ensuite, parce qu'elles nient le principe même de la République. Nombreux sont ceux qui reprochent à la revendication républicaine de se perdre dans des principes énoncés dans des périodes révolues. Ils ont tort. Ils ont tort en ce que la République, au contraire du fascisme, au contraire du communisme développé en URSS, n'est pas monolithique. La République n'est pas fixe, elle n'est pas immobile. Ses principes bougent. L'égalité hommes/femmes devant la loi, la dépénalisation de l'homosexualité, l'abolition de la peine de mort, sont tant d'exemples qui montrent que ces idées républicaines nouvelles n'étaient pas celles de nos ''pères fondateurs'' (pour utiliser la phraséologie nord-américaine). Pourtant, leur vision avant-gardiste du monde nous permet, aujourd'hui encore, de construire notre avenir, en évitant les écueils tels que ceux dans lesquels se trouve le Chili aujourd'hui. La République, du moins dans l'idée vieillote que j'en ai, c'est la liberté de chacun de ne pas adhérer à son message. La République est l'intégration par l'école, par la société, de l'autre, en lui refusant certaines pratiques, en le soumettant à sa loi, sans jamais l'obliger à l'aimer, à l'adorer. C'est exactement sur cette nuance que se différencie un régime fasciste d'une république, dans son principe. En cela, la république est le seul des régimes qui existe, qui gouverne, qui fonctionne, sans l'approbation forcée, du moins publiquement, de ses citoyens. L'important pour ce régime n'est pas l'effectivité de sa popularité parmi les citoyens. C'est même l'inverse. Sa légitimité doit être créée de manière logique, quotidienne, au travers de signes non pas imposés aux hommes, mais que l'homme s'impose à lui-même comme les meilleurs à choisir. Certains diront que cela revient au même. Entre pression légale et pression sociale, quelle différence ? Tout. Tout change entre l'apprentissage et le coercitif. Tout change entre le choix déterminé et l'oppression subie.

En cela, le Chili est aujourd'hui un Etat qui ne me semble pas républicain. Et c'est ce que je crains extrêmement fortement pour ma France natale. Nous nous acheminons, lentement, surement, vers ces mêmes écueils. La France, nous avons le droit de ne pas l'aimer, nous avons le droit de la critiquer. C'est même sa force. La République doit pouvoir ne pas être aimée, être menacée par le fascisme, être menacée par le simplisme. Ne jamais succomber à sa facilité. Ne jamais tomber dans les travers mêmes de ces mouvements démagogues totalisants. Et lui survivre, lui survivre parce qu'elle est plus vraie, plus intelligente, plus mesurée. Et qu'elle possède la force de lui résister. Nicolas Sarkozy fait aujourd'hui basculer notre république de la résistance constante à ce simplisme dangereux.

''Que ma nation périsse, pourvu que l'humanité triomphe''.

Tudy

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