samedi 30 octobre 2010

''Je mets les pieds où je veux. Et c'est souvent dans la gueule''.


Ci-dessus. Cumple de este hue'on de Jorge. Citation empruntée à Chuck Norris, métaphoriste hors-pair.

Ce billet est volontairement découpé en trois parties, très différentes, tant dans la gravité de ce qu'elles traitent, que dans la manière de le faire. N'y voyons nulle provocation de ma part, elles sont simplement le reflet de sentiments et d'impressions très contrastées vécues ces dernières semaines, et que, faute de temps ou de volonté, je n'ai pas découpé en trois publications. La liberté de passer de l'un à l'autre est d'ailleurs l'origine de la phrase de Norris Chuck.


Débattre à l'américaine.

Je voulais parler un peu de la vie publique chilienne. Du président Piñera et de sa phrase écrite sur le Livre d'Or allemand lors d'une visite entre chefs d'Etat qu'il a emprunté à l'hymne nazi ; de la composition pathétique de l'opposition ; du caractère ultra-américanisé des débats politiques ; du nombre infime de candidats aux élections présidentielles (quatre en 2009 au Chili, douze en 2007 en France, quinze en 2002...) ; de l'apparent respect entre les partis ; du peu d'importance que tout cela semble avoir ; des équivalences, des différences. Je n'en évoquerais qu'une partie.


Finalement, je ne sais pas grand chose sur la vie politique chilienne. Et cette constatation n'a fait qu'augmenter après avoir vu le débat entre les quatre ''principaux'' candidats à la présidentielle.


Une salle grande, très grande. La taille de celle d'un congrès politique partisan. Quatre cents personnes dans la salle. Qui hurlent après chaque intervention des candidats en présence. Ceux-ci sont d'ailleurs S. Piñera (candidat, et désormais président, de l'Alliance pour la Rénovation sociale, parti dit de ''centre-droit'' allié à une partie de la droite chilienne), E. Frei (fils du Frei qui gouverna juste avant Allende, candidat de la démocratie chrétienne, président du Chili entre 1994 et 2000), M. Enriquez (candidat indépendant, ancien membre des Jeunesses socialistes, trente-sept ans, philosophe et cinéaste, inclassable politiquement parlant), et enfin J. Arrate (candidat d'une Alliance ''nous pouvons'', toute référence au ''yes we can'' serait sans doute purement fortuite, soit le candidat communiste). Déjà, première impression. J'ai beaucoup de mal à voir qui appartient à quelle orientation politique. Il faut dire que la couleur des cravates (rose pour le démocrate chrétien, bleue pour le jeune inclassable, orange pour le communiste, et noire pour le conservateur) ne m'a pas aidé. Le journaliste est mal à l'aise, loin des candidats, qui font un brin figure de pingouins participant à Questions pour un Champion. L'ambiance est à l'américaine. Coupure pub toutes les six minutes, longs travelling sur la salle et les candidats, incitation constante à l'applaudissement.


Et puis, le système se met en marche, et me laisse pantois. Chaque candidat a une minute pour répondre à une question très pointue. Puis trente secondes pour répondre à ce qu'ont dit les autres candidats. Du coup, c'est comme un pub pour parfum. Du show pur, aucune profondeur dans les réflexions. Et des applaudissements résonnent une fois la minute écoulée. Seul Piñera se fait siffler quasiment à chaque fois par une partie du public, autant qu'il semble susciter l'enthousiasme d'une autre part de l'audience. Mais les interventions sont particulièrement soft. Personne n'insulte personne, les attaques personnelles sont rares. Les candidats s'appellent même parfois par leurs prénoms respectifs. Et puis je réalise que, entre ces quatre candidats (qui sont les uniques candidats de l'élection), n'existe pas le candidat d'extrême-droite. Celle-ci n'est absolument pas représentée, n'a aucune valeur à l'échelle d'une élection comme celle-la. Dingue. L'élection paraît à la fois très semblable, et en même temps très différente de notre sacro-sainte élection française. Tout plein d'espoirs, de gens hystériques, des candidats un brin patauds, contradictoires, jouant sur une forme d'image personnelle à promouvoir. Moins de haine, sans doute. Moins de diabolisation.

L'impression demeure étrange. Une logique démocratique un peu modernisée, ou qui se veut l'être, en tout cas. Une logique du show à la Royal. Et à l'origine d'un grand vide politique. Si la vie publique est devenue spectacle, elle est donc contingente. Importante sans vraiment l'être. Primordiale tout en étant un simple blockbuster à suivre, si possible.



L'appel à l'antisémitisme.

Un ami chilien est allé aux vingt-et-un ans de Radio Placeres (radio d'extrême-gauche diffusée de manière pseudo-illégale, et que j'affectionne particulièrement, tant par ses programmes musicaux que culturels et politiques). Cet événement se construisait autour d'un concert, où de nombreux artistes venaient participer à cette fête contestataire très convenue. Et puis, un homme, plutôt âgé selon les dires de l'ami en question, monta sur scène, prit sa guitare, et commença à jouer une chanson. Les paroles étaient étranges. ''Que les juifs partent...''. Le chanteur, face à l'apathie totale du public, continua son spectacle. ''Que les juifs disparaissent...''. Sans réaction, le public suivit sans broncher les chansons qui s'enchaînaient. ''Que les juifs meurent... tous !''. L'ami s'arrêta, interloqué, plus qu'il ne l'était déjà. Après le concert, indigné comme il se doit, il alla rencontrer le chanteur en question, et lui demander des comptes vis-à-vis des paroles intolérables entendues. L'homme répondit que sa chanson visait Israël, et le mal qui était fait à la communauté palestinienne. Quand cet ami m'a conté cette histoire, lui-même, étudiant en psychologie, plutôt cultivé, ne faisait pas la différence entre juifs et Israéliens. Ensuite, en me racontant cette histoire tellement gore, il affirma qu'en entendant les paroles, il pensait à la Shoah, au régime nazi, à Adolf Hitler, à Auschwitz. Il ajouta que même si Israël était un pays à combattre, il n'acceptait pas qu'on piétine ces faits historiques en ravivant une haine contre les juifs.


Je ne m'en remets pas. J'ai d'abord eu, bien sûr, envie d'enlever mon keffieh, et d'aller étrangler ce chanteur, ce que je n'ai heureusement pas fait. Mais, au-delà de la bêtise de ce type, la réaction de cet ami m'a également posé problème. Je me suis alors questionné. 1) Aucune distinction juif/israélien pour cet ami, et visiblement, pour ce chanteur. J'en concluais qu'il devait en être de même pour une bonne partie du pays. 2) Ce qui choquait mon interlocuteur n'était pas tant la violence des propos déversés par cet artiste, sinon le contraste insupportable qu'il mettait en place vis-à-vis de l'histoire passée, et en particulier de l'Holocauste. Et non de la violence en tant que telle, ou parce que, Shoah ou non, l'appel à l'extermination, ou à l'annihilation, ou à une quelconque forme de haine, était, en soi, en ce qu'il était, condamnable en son entier. Alors je ne dis pas qu'une différence, établie clairement par l'histoire particulière du peuple juif, n'existe pas dans l'approche de tels sujets. Mais, je n'ai pu m'empêcher de me demander. Si l'homme avait parlé des Druzes. Ou des Bosniaques. Ou des Tchétchènes. Ou des Juifs avant 1933. Le souvenir ''Shoah'' n'aurait pas pu être présent dans l'esprit de mon interlocuteur. La prise de conscience, dont les principes sont pourtant visibles, fut brutale. La Shoah fut l'évènement qui permet, aujourd'hui encore, de s'offusquer, et de se donner bonne conscience face à une haine raciale/religieuse affirmée. C'est donc dans, et peut-être seulement par l'horreur absolue, que l'homme prend conscience du scandale que peuvent véhiculer certains artistes/écrivains/intellectuels/non-intellectuels. On a donc besoin de ça. L'horreur totale, pour s'offusquer devant l'appel à l'horreur. Je me suis senti nauséeux.



La guitare enthousiasmée.

Il y a trois jours, je suis allé acheter une guitare. 12,900$, soit 19€ environ, une misère. Une folk. Son évidemment pas top. Je commençais à gratouiller en me demandant par où je pouvais et devais bien commencer. Mais en construisant mes premiers accords au son médiocre, j'ai senti, dans mon corps, une forme indescriptible d'enthousiasme. Mon ignorance totale de l'instrument lui donnait une beauté, dans la découverte que j'en avais, que je n'avais plus ressenti depuis longtemps. Je me suis senti comme un gamin à Noël. Excité, motivé, hyperactif. L'envie d'apprendre, d'y passer du temps, de découvrir. Impression première rare, qui s'est transformée, avec les heures, en une sorte de nécessité de jouer. Je n'ai pas daigné poser ma guitare pendant ces trois derniers jours. Par cette drogue musicale, je ressentais un plaisir que je ne pouvais plus lâcher. Accords, tablatures, doigts défoncés par le zèle, ont commencé à entrer dans mon existence. La voix cassée à force de reprendre le refrain de Numb, en détruisant les oreilles de mes comparses et colocataires. L'envie, la nuit, de reprendre un instrument, et ne pouvoir qu'en esquisser les accords, sans les jouer vraiment (la scène du Pianiste, de Polanski, où le héros, se cachant de la Gestapo, se retrouve face à un piano, et ne peut le toucher, m'apparaissait alors d'une cruauté rare). L'enthousiasme. Je pense que cela faisait un moment que je ne l'avais pas ressenti si fortement.

Tudy

samedi 16 octobre 2010

''Je suis pour le mariage homosexuel. Je ne vois pas pourquoi on devrait épargner quelqu'un parce qu'il est gay''.


Ci-dessus: leccion 1 ; asaltar un tren en el desierto. Titre piqué à une réflexion de M. Galabru, semble-t-il.


Des atmosphères politiques, des valeurs, et de l'esprit au Chili.


Discussion politique. Tous probablement, du Chili aux Etats-Unis, de la Suède à la Creuse, avons suivi, de près, de loin, l'opération ultra-médiatisée des trente-trois mineurs chiliens, extraits de près de 700m de profondeur, et renaissants à la lumière du jour du désert d'Atacama. Ce qui m'a amené, dans l'esprit polémique et tordu qui est le mien, à critiquer l'action démagogue du président Sebastian Piñera, utilisant ce type d'évènement afin de recouvrer une popularité légèrement égarée au cours des derniers mois. Proche du peuple, concerné, dévoué au sauvetage ''parfait'' (El Mercurio) des trente-trois bonnes âmes coincées dans la mine de San José. Mes colocataires étaient, étonnamment, d'accord avec cette analyse critique d'une récupération médiatique décomplexée. Mais cela reste marginal, peu important. Ce qui ne l'est pas, en revanche, est ce que j'ai appris de la vie politique chilienne. En voici deux des plus brillants exemples.


En pleine campagne électorale, les candidats au Parlement, lors de l'élection des députés, ont, depuis quelques années, entrepris de mettre en place des spots publicitaires à la télévision afin de faire un ch'tit peu de propagande pour leur clocher. La même chose a lieu en France. Le responsable de l'UMP, du PS, du NPA, du Modem, du FN, des Verts, ou de partis plus improbables (Chasse, pêche et tradition, la secte Solidarité et Progrès, ou encore les partisans de la cuisine à l'huile d'olive) vous fait un grand sourire, et des militants viennent vous expliquer toutes les belles choses qui s'accompliront dans le cas d'un vote unanime pour ce tribun de la plèbe, et les conséquences dramatiques d'un vote pour un candidat adverse. Personnellement, j'ai un souvenir particulièrement haineux du ''Restons maîtres chez soi'' du populiste Bruno Mégret (musique africaine dans un salon bien ''français'', un main s'approche du poste-radio, pousse un bouton, et remplace la musique par le Carmen de Bizet, l'image se déplace, et sieur Mégret regarde la caméra avec sourire de agna), ou du spot anti-guerre nucléaire des Humanistes (Des images apocalyptiques dignes de Docteur Folamour, et un type en costard qui, avec le charisme d'une loutre, affirmait, avec un ton de voix d'une solennité digne d'un croquemort: ''aujourd'hui, dans un simple attaché-case, on peut faire sauter trois fois la planète...''...). Il me semble (mais peut-être me trompe-je) qu'en France, une certaine parité dans les temps de paroles doit être respectée.


Au Chili, les choses sont un peu plus compliquées. En effet, les candidats (et leurs partis, a fortiori) doivent acheter les secondes de publicité afin de pouvoir mettre en place leur spot de propagande électorale. Du coup, les grands partis (socialiste, populaire, libéral...) s'achètent environ une minute de publicité, afin d'exposer leurs projets, et nous montrer leur sourire carnassier. Pourtant, les indépendants (ceux qui n'ont guère d'étiquette politique, et encore moins de partis), ou les petits partis marginaux, ne peuvent pas acheter soixante secondes de transmission télévisuelle, dont les droits s'élèvent à des montants astronomiques. Du coup, nombre de candidats achètent... une seconde de spot publicitaire. C'est-à-dire que pendant la durée d'une seconde, un inconnu se plante devant la caméra, dit son nom, dans le meilleur des cas, puis disparaît pour laisser place à de la réclame sur la lessive Superlimpiada. Mieux que ça, un candidat a trouvé une façon encore plus rentable d'utiliser sa seconde d'existence dans les tubes cathodiques. Pendant une seconde (imaginez), le type se plante devant la caméra, lève le poing, et hurle: ''Trabajo ! Trabajo ! Trabajo !'' (soit: Travail ! Travail ! Travail !)... Déjà, l'idée de pouvoir dire neuf syllabes en une seconde, suppose d'en dire une par dixième de seconde (un peu plus, j'en conviens, 10 divisé par 9 ne faisant pas 1, comment j'suis fort en maths). Plus que ça, mes colocataires m'exposaient que ces images apparaissent comme des messages subliminaux. On ne sait même pas qui apparaît, n'ayant guère le temps de le voir. Je ne sais pas pourquoi, mais cela me fait énormément rire. J'imagine le type qui a du travailler sur son slogan pour le placer en cent centièmes de secondes. C'est ce qu'on appelle laver le langage politique de tous les détours dont il est généralement friand...


Autre effet de ces campagnes électorales folles: durant la campagne présidentielle de l'année dernière (élection en décembre 2009), les affiches publicitaires politiques étaient tellement nombreuses (sur les murs, sur des panneaux, partout) qu'une multiplication des accidents de la route a été très clairement établie par les responsables gouvernementaux de la sécurité routière. A force de regarder les ''Viva la democracia social'' ou ''Asi queremos Chile'', ou bien encore ''La fuerza politica es de cambiar'' (Pinera semble avoir pompé sur le ''Ensemble, tout devient possible'' de notre président préféré...), les automobilistes se vautraient dans des fossés, ou emboutissaient leurs camarades conducteurs. Sur les routes entre Santiago et Valparaiso, apparaissent encore ces affiches marketing d'un autre âge, et les conducteurs se plantent peut-être toujours dans la végétation des alentours.


Au-delà de l'aspect profondément drôle de ces différences, certaines nuances apparaissent, et me font en revanche bien moins rire. Prenons la question plus profonde et houleuse des valeurs partagées d'un pays comme le Chili. Je fréquente, disons, de manière grossière, un milieu étudiant qui est plutôt progressiste, sinon radicalement. C'est-à-dire ouvert à l'égalité sociale, critique des valeurs dominantes de la société libérale (fric, reproduction des élites, ostracisation des classes sociales basses, oligarchie au pouvoir, etc.). Certains se revendiquent socialo, d'autres communistes. Disons que la vision globale de la société est celle d'une tolérance plus marquée, d'une redistribution des richesses plus effective, d'une décentralisation marquée, d'un respect des peuples indigènes, pour ne citer que ces courts exemples. Pourtant, quand on en vient à des questions plus morales, on sent une différence nette se dessiner. L'homosexualité illustre cette logique d'une manière on ne peut plus nette.


Je crois pouvoir dire, sans avoir peur de me tromper, que dans l'environnement estudiantin équivalent que je fréquente en France, peu de gens portent un regard déplaisant sur l'homosexualité. Certains ont des propos parfois conservateurs, mais restent dans une sorte d'habitude vis-à-vis de la question. Au Chili, les choses sont très différentes. La place de l'Eglise catholique, toujours très marquée (j'ai quelques connaissances, proches ou lointaines, qui s'affichent comme cathos, bien que n'en ayant vraisemblablement pas les valeurs), semble avoir imbibée la vision de citoyens chiliens. Alors, parler avec un Chilien de 22 ans, no offense, c'est un peu comme parler avec la génération de nos parents. Toujours mal à l'aise. Toujours maladroite. Et c'est parti, on enchaîne les ''ça ne me dérange pas, hein...'' et les ''il est homosexuel, mais il est très intelligent'', type de conjonction de coordination qui fait clairement savoir que le lien intelligence/homosexualité, est loin, très loin de pouvoir être évident pour une partie, oserais-je dire une majorité, de la population. Alors, on marche toujours sur des oeufs. Plus on fait attention, plus on se plante, et, pour ma part, plus je m'énerve. Le malaise grandit. Je n'arrive pas à comprendre cette distanciation irrationnelle, alors que, dans ses principes mêmes, l'homosexualité ne devrait pas poser de problèmes moraux à cette population jeune (et jolie, comme le dit la formule consacrée). C'est pas comme si ces jeunes étaient toujours dans une logique de ''no premarital sex'' ou d'ignorance totale de la sexualité comme pouvaient l'être des gosses des générations passées. Et puis, éventuellement, ça dérape. Et c'est à ce moment-la, qu'on se dit que l'on est pas sorti de l'auberge.


Tudy

mercredi 13 octobre 2010

''Pas besoin d'être cinglé pour vivre ici, mais ça aide''.


Ci-dessus: dos personas caminando en la playa Laguna Verde. Titre tiré de In cold blood, T. Capote.

Perspective du retour. Il est assez amusant de voir comme l'on s'habitue vite au changement. Déjà, je commence à me dire que le retour en France sera à la fois très attendu, et d'une difficulté incroyable. L'atmosphère, la beauté de la ville, le coût de la vie, le rythme des cours, le soleil de plomb, les bus chaotiques, les réveils après 8h30, les bouquins en espagnol, les conversations avec mes colocs, les documentaires sur Salvador Allende et la Unidad Popular, la langue étrangère, l'apprentissage constant, l'impression du vide, la liberté grandissante, me manqueront. Je me retrouve dans la situation des Fleurs pour Algernon. Comment après avoir recouvré la vue, pourrais-je la perdre de nouveau ? No offense, european dudes. J'ai l'impression que le Chili est une tension, un fossé entre le beau et l'horrible, le riche et le pire, l'atterrant et le poétique. Son histoire me donne raison.


En cours de sociologie du ciné, cours à la dimension intellectuelle extrêmement riche, dans lequel nous faisons face à l'histoire meurtrie du Chili, et à ses processus de développement cinématographique, nous continuons à voir et analyser le documentaire de 4h30 de Patricio Guzman, La Batalla de Chile (conseil de l'ami sincère... c'est à voir). Dépeignant la vie politique du pays depuis 1972 jusqu'à l'après coup d'Etat, le film s'emploie, en noir et blanc, à rendre compte d'un moment historique, d'une fresque tragique, d'une aspiration fusillée. Je me sens l'obligation d'en exposer quelques faits, d'en dire quelques mots, et de partager quelques impressions. En 1972, l'Unidad Popular de Salvador Allende, au pouvoir depuis 1970 (majorité relative, mais suffisante pour gouverner le pays, plus ancienne démocratie d'Amérique du sud) est attaquée de front par la bourgeoisie chilienne. Les Etats-Unis ayant retirés leurs aides financières et une partie de leurs investissements, face aux nationalisations effectuées par le pouvoir (notamment sur le cuivre), le pays bas de l'aile économiquement parlant. Le patronat (désolé pour ce vocabulaire gauchiste ici totalement justifié) s'engouffre dans la brèche, comme les mouvements réactionnaires. Les initiatives du gouvernement sont régulièrement bloquées au Parlement (suite à une victoire relative de la droite cette même année, qui, n'ayant obtenu que 55% des suffrages, ne dispose que d'une majorité relative), et l'anathème tombe sur le gouvernement ''marxiste'' du dangereux Allende. La droite n'hésite pas un seul instant à manipuler les mouvements d'étudiants cathos, les groupes féministes conservateurs (paradoxe ?), les mineurs mécontents, les ouvriers en recherche d'améliorations des conditions de travail, ou encore des gigantesques entreprises de camionneurs (qui, parce que le Chili ne dispose que d'autoroutes pour acheminer ses marchandises, représentent un des seuls moyens de transport sur le territoire) pour bloquer le pays, rabaisser encore sa dynamique économique, et mettre à bas un dangereux gouvernement gauchiste. Le peuple défile pourtant dans la rue. Les manifestations pro-Allende se multiplient, le soutien d'une majorité de la population, réunie derrière la gauche toute entière, reste indéfectible au pouvoir. Insupportable pour les libéraux chiliens comme nord-américains. Tous les recours ayant été usés, la droite décide d'utiliser d'autres moyens que la voie démocratique. C'est pourtant au nom de cette même démocratie qu'elle entend renverser le pouvoir en place, afin de ''restaurer l'ordre constitutionnel''. Le 29 juillet 1973, une division d'infanterie de l'armée chilienne fait sédition, entre dans Santiago avec six tanks, et abat 22 personnes (dont une majorité de civils). L'image de fin du premier documentaire est d'ailleurs celle d'un journaliste détaché argentin, qui filme un pick-up conduit par des militaires armés, qui appréhendent quelques opposants, sans doute. Le chef de section descend de la voiture, avec dans la main un 9mm. Ou une quelconque autre arme de poing. Les passants courent dans tous les sens. Le journaliste continue de filmer. L'homme au pistolet tire deux fois. La caméra vacille. Un autre soldat fait feu à l'arme automatique. Le journaliste argentin s'écroule. Non content d'avoir filmé ce qui s'apparente à la première tentative de renversement physique du pouvoir, ce caméraman aura filmé sa propre mort. La caméra gigote, les images deviennent floues. Suite à cette opération avortée (faute du soutien du reste de l'armée), les partis de droite restent muets. Certains extrémistes parlent d'un coup monté par le pouvoir marxiste pour justifier un état de siège (ce dernier sera d'ailleurs refusé officiellement lors de son vote au Parlement). Le général Prats, proche d'Allende, est assassiné par un commando entrainé par la CIA. Le président Allende est menacé, euphémisme s'il en est un. Face au soutien populaire dont il est toujours le possédant, il annonce la mise en place d'un référendum pour le 11 septembre 1973. Ce jour-là, le palais de la Moneda (équivalent de notre Elysée) est bombardé par les troupes chiliennes. Le président est sommé de se rendre. Peu après 9h, Salvador Allende deviendra un des martyrs de la cause socialiste. Le lendemain, un message est envoyé au peuple chilien. Un Pinochet sombre, glauque, adresse son message. Dégueulasse. J'ai l'impression de voir du sang sur sa poitrine. L'image est forte, glaçante. Je ne comprends pas comment les Chiliens réussissent à revoir ces moments si sombres. Je suis tétanisé, bien que j'ai appris, encore et encore, le déroulement de ces évènements. Le narrateur du film me glace. Je me dis que la politique est sale. Les plus démocrates des représentants n'ont pas hésité, par leur action ou leur inaction, à laisser cette erreur historique se mettre en place. A laisser ce scandale politique meurtrier voir le jour. Pour des intérêts idéologiques, financiers, politiques. Cette tragédie-la. La voir. Et ne jamais pouvoir la comprendre.

Depuis le lit duquel j'écris mes lignes, l'extérieur me semble loin. Loin parce qu'il est autre. Loin parce que je m'en cache. Loin parce que la découverte est dure, lisse, improbable. Avant d'aller vers d'autres horizons, j'ai besoin d'épuiser la vie d'ici, de ressentir le sentiment de gâcher quelque chose. De ne pas se plier à loi de l'action permanente. Il est drôle de voir comme les étudiants étrangers semblent torturés par l'idée de devoir faire quelque chose. De découvrir quelque chose. Comme si le voyage en pays étranger était censé révéler une vérité. Voir le Parthénon, voir les chutes Iguazù, voir les lieux qu'il faut voir, faire ce que l'on doit faire, condition sans laquelle on a rien fait. Sur le paseo Atkinson, nous dégustons une bière. Le port est illuminé. Le moment est saisissant. Sombre. Beau.

Je m'endors au doux bruit du silence.


Tudy


Allez, pour le plaisir.

« En un moment historique, je paierai de ma vie la loyauté du peuple. Et, j'affirme que j’ai la certitude que les graines que nous avons plantée dans la conscience digne de milliers et milliers de Chiliens ne pourra être étouffée éternellement.
Travailleurs ! J’ai confiance en le Chili et en son destin. D’autres hommes vaincront ce moment gris et amer où la trahison prétend s’imposer. Rappelez-vous toujours que, bien plus tôt qu'attendu, s’ouvriront à nouveau les grandes allées par où passe l’homme libre pour construire un monde meilleur
. »

S. Allende, 11/IX/1973 (la traduction est moyyyenne, mais enfin).

dimanche 3 octobre 2010

''Te declaro mi amor, Valparaíso...''


Moins d'écrits ces temps-ci. Moins d'articles donc. L'inspiration, ou plutôt l'envie d'écrire, est une garce. Ou peut-être moi-même suis-je un angoissé de la page blanche. Grâce à ma douce Joan Baez, je retrouve quelques mots à partager. Ci-dessus: asado en los cerros de la ciudad. Titre piqué à Pablo Neruda, qui parla mieux de la ville, que quiconque le fera jamais, semble-t-il.



La vie est douce.

A Valparaíso, commençait vendredi le festival des milles tambours, sorte d'ode continue à la percussion, à la danse, et à tout ce qui peut exister de kitsch. Ambiance très ''brésilienne''. Des jeunes se ruent vers les groupes de percussionnistes, qui, à l'aide de djembés, de tambours, ou d'instruments plus improbables, comme une poêle à frire, ou des casseroles démembrées, font un boucan d'enfer, ou plutôt un concert du tonnerre. Atmosphère survoltée. Un groupe à gauche, à droite, derrière, devant, les musiques se mêlent, les rythmes s'embrouillent. Un groupe de types déguisés en militaires sortent les cuivres. Un groupe d'une trentaine de nanas, habillées en squaws, se trémoussent sur des rythmes effrénés. Plus impressionnant encore, un groupe de jeunes filles, accompagnées par quelques jeunes garçons pré-pubères et sans doute les hormones en ébullition, se déshabillent complètement, ou presque, et se peinturlurent le corps avec passion. Dans le plus simple appareil, avec un vent à décorner les boeufs, les voilà qui s'affichent, dansent, comme si de rien était. Ils n'ont franchement pas froid aux yeux. Et pour être tout à fait honnête, on ne sait plus ou donner de la tête, qui, quoi regarder. Jamais cru qu'il y avait tant de jolies filles à Valparaiso. Progressivement, la fête devient une marche. La foule traverse les cerros en suivant les danseuses et les percussionistes. Le rendez-vous est l'occasion de retrouver la majorité des têtes déjà connues de la ville. Un ami français frappe sur son djembé, le sourire aux lèvres. Des jongleurs enflamment des bolas, des bâtons du diables, ou des massues. Ça sent le kérosène. Des clowns passent à vélos. Les vibrations des tambours continuent à résonner dans l'ensemble du cerro. Ça sent la marijuana. Nous avançons en rythme, alors que la nuit commence à tomber sur la ville. Valparaiso est illuminée, joyeuse, et, disons-le, un brin à la dérive. C'est en effet ce que je me dis en voyant le style de vie des amoureux de la cité. C'est un peu la décadence dans la bonne humeur. Etrange.


Mais, dans ce florilège de bruits, de couleurs, d'âmes en peine, je retrouve la force de cette ville incroyable qu'est Valparaíso. En traversant les cerros, en observant depuis les hauteurs le soleil couchant sur le port, en observant s'allumer les milliers de lumières qui couvrent le paysage la nuit tombée, je prends une énième fois conscience de la beauté de l'endroit. Et ce qui suit est un grand n'importe quoi. Mais c'est ce que la tumultueuse Valparaíso m'inspire.


La ville est ivresse. Une ivresse de découverte impossible.


La ville est recherche de ce qui n'existe pas. Et c'est au sein de cette impossibilité que se crée sa poésie. Voir sans découvrir, ressentir sans sentir, imaginer sans matière.


La ville est monstre atroce, horrible, pourri par la vie de bohème, et les promesses alternatives qu'elle ne peut tenir. Sa population étrangère s'y engouffre, et se marre.


Valparaiso est le vide. Et satisfait.


Valparaiso est l'impossible, et se découvre chaque jour un peu plus, faisant naître la tentation, au recoins de ses rues, de ses ruelles, de ses avenues. Et meurt sous le poids de son propre charme.


Valparaiso est victime de ce qu'on veut qu'elle soit. Et, créature difforme, finit par le devenir.


Valparaiso n'est rien, et en cela, est tout.


Valparaiso est une colline immense, un caveau sans fond.


Valparaiso est un port qui dépérit, et ne veut se l'avouer. Les dockers affamés vous embarquent, pour quelques sous, et vous font visiter une baie sans essence, sinon celle du passé.


Valparaiso est une femme, qui de ses bras affectueux, vous embrasse et vous aime, vous endort, toujours veille.


Valparaiso est une garce, qui attend la faiblesse, vous saisit et vous hache, à la moindre inattention. Et vous broie et vous mange, sans autre attention.


La ville est éphémère, chaque jour elle renaît.


La ville est une fleur, qui sans boutons aucun, vous enivre, et puis pleure, sans vous le faire comprendre. Elle se hait, elle le sait, et regrette son sort.


Valparaiso est métaphore. Une épave multicolore.



La vie est douce. Puisse-t-elle le rester.


Tudy