Ci-dessus: dos personas caminando en la playa Laguna Verde. Titre tiré de In cold blood, T. Capote.
Perspective du retour. Il est assez amusant de voir comme l'on s'habitue vite au changement. Déjà, je commence à me dire que le retour en France sera à la fois très attendu, et d'une difficulté incroyable. L'atmosphère, la beauté de la ville, le coût de la vie, le rythme des cours, le soleil de plomb, les bus chaotiques, les réveils après 8h30, les bouquins en espagnol, les conversations avec mes colocs, les documentaires sur Salvador Allende et la Unidad Popular, la langue étrangère, l'apprentissage constant, l'impression du vide, la liberté grandissante, me manqueront. Je me retrouve dans la situation des Fleurs pour Algernon. Comment après avoir recouvré la vue, pourrais-je la perdre de nouveau ? No offense, european dudes. J'ai l'impression que le Chili est une tension, un fossé entre le beau et l'horrible, le riche et le pire, l'atterrant et le poétique. Son histoire me donne raison.
En cours de sociologie du ciné, cours à la dimension intellectuelle extrêmement riche, dans lequel nous faisons face à l'histoire meurtrie du Chili, et à ses processus de développement cinématographique, nous continuons à voir et analyser le documentaire de 4h30 de Patricio Guzman, La Batalla de Chile (conseil de l'ami sincère... c'est à voir). Dépeignant la vie politique du pays depuis 1972 jusqu'à l'après coup d'Etat, le film s'emploie, en noir et blanc, à rendre compte d'un moment historique, d'une fresque tragique, d'une aspiration fusillée. Je me sens l'obligation d'en exposer quelques faits, d'en dire quelques mots, et de partager quelques impressions. En 1972, l'Unidad Popular de Salvador Allende, au pouvoir depuis 1970 (majorité relative, mais suffisante pour gouverner le pays, plus ancienne démocratie d'Amérique du sud) est attaquée de front par la bourgeoisie chilienne. Les Etats-Unis ayant retirés leurs aides financières et une partie de leurs investissements, face aux nationalisations effectuées par le pouvoir (notamment sur le cuivre), le pays bas de l'aile économiquement parlant. Le patronat (désolé pour ce vocabulaire gauchiste ici totalement justifié) s'engouffre dans la brèche, comme les mouvements réactionnaires. Les initiatives du gouvernement sont régulièrement bloquées au Parlement (suite à une victoire relative de la droite cette même année, qui, n'ayant obtenu que 55% des suffrages, ne dispose que d'une majorité relative), et l'anathème tombe sur le gouvernement ''marxiste'' du dangereux Allende. La droite n'hésite pas un seul instant à manipuler les mouvements d'étudiants cathos, les groupes féministes conservateurs (paradoxe ?), les mineurs mécontents, les ouvriers en recherche d'améliorations des conditions de travail, ou encore des gigantesques entreprises de camionneurs (qui, parce que le Chili ne dispose que d'autoroutes pour acheminer ses marchandises, représentent un des seuls moyens de transport sur le territoire) pour bloquer le pays, rabaisser encore sa dynamique économique, et mettre à bas un dangereux gouvernement gauchiste. Le peuple défile pourtant dans la rue. Les manifestations pro-Allende se multiplient, le soutien d'une majorité de la population, réunie derrière la gauche toute entière, reste indéfectible au pouvoir. Insupportable pour les libéraux chiliens comme nord-américains. Tous les recours ayant été usés, la droite décide d'utiliser d'autres moyens que la voie démocratique. C'est pourtant au nom de cette même démocratie qu'elle entend renverser le pouvoir en place, afin de ''restaurer l'ordre constitutionnel''. Le 29 juillet 1973, une division d'infanterie de l'armée chilienne fait sédition, entre dans Santiago avec six tanks, et abat 22 personnes (dont une majorité de civils). L'image de fin du premier documentaire est d'ailleurs celle d'un journaliste détaché argentin, qui filme un pick-up conduit par des militaires armés, qui appréhendent quelques opposants, sans doute. Le chef de section descend de la voiture, avec dans la main un 9mm. Ou une quelconque autre arme de poing. Les passants courent dans tous les sens. Le journaliste continue de filmer. L'homme au pistolet tire deux fois. La caméra vacille. Un autre soldat fait feu à l'arme automatique. Le journaliste argentin s'écroule. Non content d'avoir filmé ce qui s'apparente à la première tentative de renversement physique du pouvoir, ce caméraman aura filmé sa propre mort. La caméra gigote, les images deviennent floues. Suite à cette opération avortée (faute du soutien du reste de l'armée), les partis de droite restent muets. Certains extrémistes parlent d'un coup monté par le pouvoir marxiste pour justifier un état de siège (ce dernier sera d'ailleurs refusé officiellement lors de son vote au Parlement). Le général Prats, proche d'Allende, est assassiné par un commando entrainé par la CIA. Le président Allende est menacé, euphémisme s'il en est un. Face au soutien populaire dont il est toujours le possédant, il annonce la mise en place d'un référendum pour le 11 septembre 1973. Ce jour-là, le palais de la Moneda (équivalent de notre Elysée) est bombardé par les troupes chiliennes. Le président est sommé de se rendre. Peu après 9h, Salvador Allende deviendra un des martyrs de la cause socialiste. Le lendemain, un message est envoyé au peuple chilien. Un Pinochet sombre, glauque, adresse son message. Dégueulasse. J'ai l'impression de voir du sang sur sa poitrine. L'image est forte, glaçante. Je ne comprends pas comment les Chiliens réussissent à revoir ces moments si sombres. Je suis tétanisé, bien que j'ai appris, encore et encore, le déroulement de ces évènements. Le narrateur du film me glace. Je me dis que la politique est sale. Les plus démocrates des représentants n'ont pas hésité, par leur action ou leur inaction, à laisser cette erreur historique se mettre en place. A laisser ce scandale politique meurtrier voir le jour. Pour des intérêts idéologiques, financiers, politiques. Cette tragédie-la. La voir. Et ne jamais pouvoir la comprendre.
Depuis le lit duquel j'écris mes lignes, l'extérieur me semble loin. Loin parce qu'il est autre. Loin parce que je m'en cache. Loin parce que la découverte est dure, lisse, improbable. Avant d'aller vers d'autres horizons, j'ai besoin d'épuiser la vie d'ici, de ressentir le sentiment de gâcher quelque chose. De ne pas se plier à loi de l'action permanente. Il est drôle de voir comme les étudiants étrangers semblent torturés par l'idée de devoir faire quelque chose. De découvrir quelque chose. Comme si le voyage en pays étranger était censé révéler une vérité. Voir le Parthénon, voir les chutes Iguazù, voir les lieux qu'il faut voir, faire ce que l'on doit faire, condition sans laquelle on a rien fait. Sur le paseo Atkinson, nous dégustons une bière. Le port est illuminé. Le moment est saisissant. Sombre. Beau.
Je m'endors au doux bruit du silence.
Tudy
Allez, pour le plaisir.
« En un moment historique, je paierai de ma vie la loyauté du peuple. Et, j'affirme que j’ai la certitude que les graines que nous avons plantée dans la conscience digne de milliers et milliers de Chiliens ne pourra être étouffée éternellement.
Travailleurs ! J’ai confiance en le Chili et en son destin. D’autres hommes vaincront ce moment gris et amer où la trahison prétend s’imposer. Rappelez-vous toujours que, bien plus tôt qu'attendu, s’ouvriront à nouveau les grandes allées par où passe l’homme libre pour construire un monde meilleur. »
S. Allende, 11/IX/1973 (la traduction est moyyyenne, mais enfin).
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