samedi 28 août 2010

''Ce n'est vraiment ne pas être un gentleman...''

Ci-dessus: Valparaiso by night. De haut en bas: rue près de la plaza Ecuador ; la plaza Sotomayor, et l'édifice de la Marine chilienne ; rue Arturo Prat, près de ma maison ; même rue, angle différent. La citation qui fait office de titre est de mauvais goût, et de Marcel Achar.

Comme dirait J.P Sartre, me voici en une nouvelle Situation. Fin de la carte postale. Fin du mythe d'une Amérique Latine magnifique, parfaite. Récit dans la fin d'une illusion. Cela devait arriver, je suppose.

Il est 5h00 du matin à Valparaiso. Je rentre chez moi, effectivement, un brin insouciant des dangers qui me menacent. C'est la première fois que je rentre si tard. Et je ne vais pas être déçu de l'expérience.

Marche-arrière. Le principe de cette soirée était le suivant: entouré par mes gracieuses amies basques (elles sont partout, décidément), je connaissais pour la première fois le goût du poteo, principe espagnol de pochtron, qui équivaut à peu près à notre barathon français. On parle, on écoute du Didgeridoo, on change de bar, on commande trop de cervezas, on assiste à un concert (d'un groupe reprenant toutes les musiques de Pulp fiction. Magique), on termine la soirée dans une discothèque de la ville. Soirée quasiment parfaite. Trop tard, bien trop tard, nous décidons de rentrer. Arrivées à deux rues de chez moi, les filles me disent qu'elles veulent prendre le taxi pour rentrer, pour plus de sécurité. Moi, grand seigneur: ''Non, arrêtez, vous allez pas payer pour un taxi, je vous accompagne si vous voulez... mais il n'y a strictement aucun risque''. Ahah. Les filles insistent, et je disparais pour rentrer dormir, enfin. Sachez qu'entre le moment où je les quitte, et mon chez moi, il y a environ... allez, soixante mètres à parcourir, à tout casser. 45 secondes de trajet.

Une femme derrière moi me demande l'heure. Je la lui donne. ''Il est 5h08, mademoiselle'' (dans un castillan approximatif, sans doute). Ce que je ne remarque pas, à cette heure tardive, c'est que cinq autres personnes la suivent. Je suis pourtant devant ma porte d'entrée, avec la ferme intention de l'ouvrir. Et là, en une seconde, elle me prend mon portable des mains (il faut vraiment que j'arrête d'être poli dans la rue. Satanée éducation des parents !). Elle me demande mes thunes, ce que je refuse, évidemment, immédiatement (et sans doute parce que j'avais l'équivalent de 15 centimes sur moi, ce qui aide). Le temps que je tourne la clé dans la serrure, les connards, parce qu'il s'agit bien de vrais connards (un portable à 5€ hors-forfait... merci à eux d'agir de la sorte), se carapatent. Les saligauds attaquent à l'aide d'une femme (qui, dans mon imaginaire stupide et conditionné par une société patriarcale, ne me menace en rien), et repartent en courant, mon portable sans valeur aucune dans les mains. Putain. Je commence à courir, puis, après deux escaliers, j'abandonne. Mon coloc' (vous savez, le type de deux mètres qui vit avec moi) se précipite à la fenêtre, et m'interpelle, interloqué. Je ne suis capable de rien dire. Ou du moins d'intelligent. ''De puta madre, j'viens de me faire tirer mon portable, gars''. Il sort dans la rue en caleçon. Scène grotesque. Les gars se sont déjà évanouis dans la nuit de Valparaiso.

Je réfléchis, assis dans mon couloir. Rien. Je suis crevé, un brin saoul, vanné. La théorie d'un de mes amis est de dire qu'il est une loi universelle à Valparaiso: toute personne doit se faire agresser au moins une fois. C'est une sorte de rite de passage. C'est drôle qu'il existe l'exacte même tradition à Moulins et à Wazemmes. Je pose mon passeport (que j'avais emporté avec moi, ou plutôt que j'avais oublié de reposer, après un passage administratif à l'Université... Franchement, Bernier, achète-toi un cerveau), mon portefeuille, tout ce que j'ai sur moi, et je repars dans la rue, désespéré. Alors que je sois bien clair: ceci était stupide. Ce n'est pas pour la valeur du téléphone qu'un homme fait ce genre de choses (il ne valait vraiment que dalle). C'est par orgueil, c'est par principe. J'arpente les rues, ma capuche sur les yeux. Furieux. Evidemment, je ne trouve personne. Je me sens impuissant. Je retrouve la raison, et je rentre chez moi. J'irais me racheter un portable.

Je les collectionne. Mais l'illusion une fois brisée, je peux désormais me concentrer sur autre chose qu'une carte postale. Ni formaté, ni aseptisé, Valparaiso est un lieu de vie. Dangers ou pas, risques ou non. Je suis prévenu. Reste aujourd'hui un goût amer d'une soirée parfaite mal terminée. Je me console avec un Balzac pessimiste. Mais tout ira bien, à l'avenir. Je suis confiant.

''L'amour a ses intuitions, comme le génie a les siennes, et je voyais confusément que la violence, la maussaderie, l'hostilité ruineraient mes espérances''.

Balzac, Le Lys dans la vallée

Tudy

lundi 23 août 2010

''Dieu ? Ça fait longtemps que j'ai fait une croix dessus.''


Ci-dessus: un crétin, auquel on a écrit sur les bras: ''enamorado del amor'' et ''sín España, la vida sería un error''. Bon okay, le deuxième était mon idée.


Mes amis, qui écrivent à l'occasion, tiennent un blog, ou rédigent uniquement pour ne pas être lus, ou seulement par leur poisson rouge (Simon, si tu m'entends), le savent bien: écrire en continu, avec une contrainte, est chose difficile. C'est pourtant la règle que je me suis imposée avec ce blog, où un article devra voir le jour par semaine. Alors, de deux choses l'une: soit mon style s'en voit affecté, et vous avez le droit de dénoncer mes origines auvergnates (cherchez bien à la 5e génération) au commissariat le plus proche de Valparaiso, soit ça passe, et je peux continuer à débiter mes âneries. Récits, donc.


Mise en place d'un rythme de vie. Il me semble que la chose la plus difficile à faire, à subir même, en territoire inconnu, consiste à mettre en place autour de soi, au quotidien, les bases d'une vie sociale et intellectuelle riche.

Parce que franchement, arriver dans un aéroport, payer 2000 $ (oui, le signe est le même pour le dollar américain et le peso chilien. Et si ça vous intéresse vraiment, c'est aussi le cas pour le peso argentin, brésilien, colombien, cubain, dominicain, mexicain, et uruguayen, ainsi que pour l'escudo cap-verdien, comme le dollar canadien, et, évidemment, le pa'anga tongan. Qui a dit que ce blog était pas culturel ?) pour arriver dans un terminal de bus qui n'est pas le bon, se pointer dans une ruelle sombre pour trouver une auberge, puis dormir sur le patio en plein jour au lieu de visiter la ville en long, en large, et en travers, puis se lier d'une amitié fragile avec des inconnus qui parlent un espagnol approximatif parce qu'ils viennent de Liepzig ou de Copenhague, j'ai envie de dire check. Mais après. Après, quoi ? Après ces premiers jours magiques, où on en prend plein les mirettes, il faut, et j'invoque ici le terme dans tout ce qu'il peut avoir de nécessité, trouver ses marques, aussi différentes qu'elles puissent être de celles de son pays natal bien-aimé. Des marques, dans le quotidien. Des marques dans la vie au Chili (ou en Argentine, ou au pays de la morue, ou chez les neocons(ervateurs) américains, etc.), non pas comme voyageur, mais comme citadin, étudiant, homme sédentarisé.


Cela veut dire s'accoutumer à:

    • Vivre dans une chambre blanche de 14m² environ, où mes chemises se battent en duel pour rentrer dans un même placard qui, avouons-le, tombe un brin en lambeaux (mais où sont les magasins suédois, je vous le demande ?).

    • Voir passer des colocs différents chaque semaine. Je ne sais pas si c'est une coutume d'ici, mais j'ai pour ma part vu défiler, entre ceux qui partent, et ceux qui arrivent, en tout et pour tout cinq personnes depuis mon arrivée, et ce n'est pas fini. La dernière, seule mécontente de la troupe, s'en est allée (dixit): ''parce que la coloc' avait pas assez de vie''. Non mais l'autre ! Ah, quel échec malgré tout ! Mais bon, comme c'était une fumeuse de cannabis, je garde le numéro de la police sous le coude, en cas de grosse déprime, histoire de.

    • Tenter de cuisiner des plats locaux. Genre des tortillas, comme si c'était chilien. Et se rendre compte que, bizarrement, c'est plus facile, voire meilleur, quand c'est une jolie fille d'Espagne qui vous l'offre avec un sourire en coin. Etrange.

    • Savoir reconnaître les fonctionnaires de police, qui sont tout de vert vêtus, avec un gilet par balles assez apparent, avec une cravate dessous (mais pourquoi ? Le Chili est un pays bizarre), en cas d'agression par un groupe de flighters, ou fighters, bref, les racaillous d'ici qui violent les vieilles dames et mangent leurs pastèques.


    • Mais aussi, s'habituer aux cours, et j'en donne mon sentiment, clairement marxiens (ou marxistes) de nos professeurs, sans doute en mal d'un mouvement social qui viendra pourtant bientôt. Et c'est en fait génial. Comme se plaisait à le dire un ami conservateur (tout le monde aura reconnu Alexis Carré, y'a que lui de toute façon), la phraséologie communiste conserve, et conservera sans doute, des qualités enivrantes. Mais alors, quand celle-ci est mise au service, non pas de l'idéologie, mais d'un cours sur l'idéologie, c'est tout juste fantastique. Avoir un prof de sociologie qui prend pour référence du Hobsbawn, ou un prof de philosophie qui disserte sur Althusser, cela m'enchante.

    • Et plus que tout, sans doute, trouver ses marques relationnelles. Trouver des gens de confiance, trouver des gens disponibles, trouver des références dans ses relations. Et cela n'est guère facile. Pourtant, on le sent, jour après jour, soir après soir, certains restent et d'autres non.


En cas de déprime, reste l'émission Parlez-moi d'humour, ma nouvelle bible pseudo-culturelle (Oui, je suis sponsorisé par France Inter, même au Chili). Ou bien des cours de yoga, ou des parties de ping-pong. Ou plus encore la perspective d'une visite d'un ami mendozien dans très peu de temps.

Mais par-dessus tout, ce qui m'enchante, est la perspective du voyage. Plus le temps passe, et plus je me dis qu'il faut, absolument, que je m'enivre de ces plaines arides, de ces déserts lointains, de ces petits hameaux par centaine, que je parte une tente sur le dos, avec pour seul bagage un bouquin de Pablo Neruda. Et que je me laisse aller depuis la Patagonie jusqu'en Bolivie... Les récits que j'en entends... Partir une fois le semestre terminé, dans le lointain. Dans trop longtemps. Mais je ne m'en fais pas, le possible est ami du bientôt. Bientôt.

Tudy

mardi 17 août 2010

''Coréens du Nord, Coréens du Sud ! Arrêtez de vous battre, vous êtes tous chinois !''


¡ Chicos y chicas ! Día memorable, día histórico. Después de siete años de trabajo, de compromiso, de sudor y de lagrimas, estoy finalmente en una situación donde puedo hacer un examen escrito en español... ¡ de filosofía política, puta madre ! Sin embargo, no es una razón para sentirse demasiado en confianza... No obstante, no sé si una redacción en castellano esta necesaria para mis lectores. De hecho, este blog va a quedar en francés para varias otras semanas. Y quizás, según los consejos de mi hermano, para todo el año.

Ci-dessus: Squat et/ou maison effondrée, délabrée, délaissée, en haut de ma rue.

Avant toute chose, je tiens à rendre hommage à la prose parfaite, quoique parfois fautive d'un orthographe approximatif (comment ça, moi aussi ?), mais surtout dotée d'un lyrisme et d'une force narrative hors du commun, de sieur Benjamin Chevalier. J'invite mes lecteurs attentifs et en maisons de retraite à aller le visiter sans tarder. L'adresse à ne pas oublier: http://vivir-en-los-andes.blogspot.com/. En plus, il met tout plein de photos.

Ah, une dernière chose. Le titre est uniquement là pour la provocation (oui, je sais, maman, tu trouves pas ça marrant, mais moi, si). Je m'inspire des techniques marketing de Marianne, soyez indulgents.


Trois semaines, jour pour jour, seconde pour seconde (ou presque) que je foule au pied ce territoire nouveau. J'ai l'impression que je viens de vivre plus d'une année en quelques jours. No offense to France. Depuis ma chambre, toute de blanc vêtue, où aucun poster ne vient gâcher sa splendeur immaculée, j'essaie de réfléchir. Mon emploi du temps est désormais fixé, les travaux écrits, oraux, s'accumulent dans mon agenda, les cours avancent. J'ai encore du mal à croire qu'une fois encore, je me retrouve emporté par la vague de la vie étudiante. Les lectures succèdent aux soirées ''asado'', sur les balcons, les terrasses. Les analyses conceptuelles s'entrechoquent avec les retrouvailles dans les nombreux bars de la ville. Les rencontres sont toujours agréables, certains Français rehaussant même mon estime pour cette espèce en voie de prolifération en Amérique Latine. Et parfois, non.


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Petite anecdote inutile au passage (destinée seulement à mes lecteurs sciences-potistes). Soirée chez un pote samedi. Un groupe de Français(es) arrivent dans l'appart', tout sourire. Conversation avec une nana.

- Ah, tu es de Sciences Po Paris ?

- Non. Je suis de Sciences Po tout court.

Bim ! Dans les dents. J'avais pourtant du mal à croire que ce genre de comportements suffisants et parisianiens (no offense, guys) puissent s'exporter jusqu'aux provinces pacifiques du Chili. … Sans commentaire. Je retourne à mes internationaux.

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Ces premières semaines sont étranges: je me lie d'amitié ou d'intérêt avec certains le temps d'une soirée, sans plus les revoir. Au contraire, je recroise des personnes peu appréciées la veille, se révélant alors bien supérieure à l'impression première que j'avais pu avoir. Les premières semaines sont étranges. Chacun expose ses projets: certains rêvent de voyager, d'autres de faire la fête, d'autres encore semblent encore dubitatifs quant aux raisons de leur présence dans un tel voyage. Ça parle fric, cirque, théâtre, cinéma, musique, ou d'indépendance du Pays basque. Valse des étudiants internationaux. Les plus fermés (Américains et Français, si vous m'entendez...) s'exilent à Viña del Mar (''parce que c'est plus sûr et plus propre !''), les plus aventureux se retrouvent aux alentours de 6h30 du matin dans des discothèques clandestines de la ville pour faire un after avec ''la crème de la crème'' de Valparaiso. Les litres de bières coulent à flot, les tentatives de me faire boire du Piscot aussi. Les Basques m'enchantent, les Chiliens m'amusent énormément, les Américains se font repérer à 125km à la ronde, les Français restent fidèles à eux-mêmes, l'Allemand me parle en spanglish, les Espagnoles se moquent de mes tics de langue nombreux... Marrant donc, comme cet univers est à part.


Je me suis rendu compte que je vis en réalité dans un endroit peu commun. Mon propriétaire, face auquel j'avais d'ailleurs stressé un moment, parce que je ne pouvais pas payer mon mois supplémentaire, faute de possibilités suffisantes de retrait(e), est, non comme je l'imaginais, peintre à son propre compte, mais bien marionnettiste: il fabrique ses marionnettes, et les utilise parfois, je dis bien parfois, dans un spectacle à droite, dans un bar à gauche. Non content d'être artiste, il cumule, puisqu'il est également anarchiste (j'avais envie de lui dire: LA PROPRIÉTÉ, C'EST LE VOL, alors, arrête de me faire payer...), et convaincu avec ça (ce qui promet des discussions assez fantastiques), tout en ayant à peine la trentaine. Je dis ça, parce que je pense à mon proprio de l'année dernière, avocat, coincé, lunettes sur la tronche, et la soixantaine pointant le bout de son année. A l'inverse, mon proprio actuel est un ami. Et c'est tant mieux.


Tout se fait ici à l'arrache, depuis l'eau chaude instantanée, et donc capricieuse, jusqu'aux étendards à linge aux fenêtres. Depuis les chiens qui squattent de long en large notre rue jusqu'aux cadenas pourris qui nous sont donnés pour fermer nos chambres. Depuis les boites aux lettres invisibles (je n'en ai personnellement pas) jusqu'aux fonctionnaires chiliens qui ne travaillent que le matin. Depuis les vendeurs de sandwichs qui se baladent avec une glacière toute la journée jusqu'au type qui nous invite à une soirée danse (dixit) en faveur de l'autogestion. Depuis les concerts qui se font juste en dessous de ma piaule, dans la galerie d'art qui prend lieu et place sous mon plancher, jusqu'aux affiches révolutionnaires de la faculté. Depuis les soirées à 53 dans un 30m² jusqu'aux toilettes de certains bars dignes d'une scène mémorable de Trainspotting (et je ne plaisante pas). Depuis l'obligation pour les élèves d'acheter eux-mêmes leurs photocopies des textes à lire jusqu'à la manière d'organiser un contrôle (je n'avais, pour ma part, j'avais vu un élève interrompre une interro pour annoncer une assemblée étudiante... surtout quand cet élève fait partie de la classe en question en train de plancher sur Léo Strauss...). Depuis les concerts dans les bars enfumés (oui, fumer dans les lieux publics n'est pas encore interdit au Chili) jusqu'aux professeurs exilés pendant la dictature de Pinochet... A titre d'information, le prénom de mon prof de philosophie est Lénine.

Le fossé est énorme, vivifiant... joyeux, à l'arrache. Je crois que c'est vraiment ce qui caractérise le mieux ce que je vis depuis le départ: l'arrache dans la joie.


Quand je vois cette beauté-là. Quand je vois cette vie, certes formatée par l'influence occidentale, mais encore libre, en tout cas dans une certaine mesure, de ses propres logiques, de ses propres erreurs, de son être propre. Quand je vois ces différences, parfois légères, parfois nettes... J'ai envie de rire... de rire aux larmes. D'aimer ce puta madre de pays.


Ce soir, je me sens chilien, espagnol, basque, européen, sud-américain. Ce soir, je me sens latin.


Tudy

jeudi 12 août 2010

''L'ennemi est con. Il croit que c'est nous l'ennemi. Alors qu'en fait, c'est lui.''


Réflexion sur les valeurs, valeurs de la réflexion.

Attention, ceci est un billet à tendance politique, limite militante. Allergiques, s'abstenir.


Ci-dessus: Le garage à vélos pour fauchés. Pas cons, ces Chiliens. Le titre de l'article est de maître Desproges, bien sûr. Ça a pas grand chose à voir avec l'article (quoique), mais je l'adore.



N'ayant pas de colocataires présents, et me remettant de mes émotions de la veille, je me suis dit qu'il n'était pas bête de rester au courant de l'actualité française, après deux semaines de quasi-blackout. Outch.


Avant toute chose, établissons que les réflexions qui suivent ne sauraient engager la responsabilité de son auteur (j'espère ne pas me prendre un procès avec présomption de culpabilité, concept apparemment en vogue ces temps-ci, ou voir ma nationalité s'en trouver ainsi déchue). Sachons aussi que les cours que je suis depuis désormais une semaine sont les suivants: sociologie politique ; sciences politiques ; sociologie du changement social ; sociologie du cinéma ; et enfin, la meilleure, philosophie contemporaine. Pourquoi une telle précision, qui a eu pour coût d'endormir la moitié de mes lecteurs ? Parce que ces perspectives, aussi multiples et diverses soient-elles, portent un projet unique, qui est celui de tenter de remplacer la croyance dans une valeur, en la connaissance approfondie de cette valeur.


L'introduction, trop longue, étant faite, passons aux choses sérieuses. Quand je ne suis pas dans un bar, ou à jouer au Time's up (ce que c'est fun d'ailleurs. Allez jouer à Pyramides en espagnol, vous comprendrez. Une amie a fait deviner Ricky Martin avec le simple mot ''bisexual''. Je m'en remets pas), je suis encore, enfin, je crois, un citoyen français, européen, soucieux de savoir ce qui se passe sur mon continent natal. Et ce que j'y vois me bouleverse. Alors bien sûr, je ne lis que Le Monde et Libération (et maintenant leurs équivalents chiliens), mais quand même. Bien sûr, je suis un peu gauchiste sur les bords, mais franchement. Quand je vois qu'en 2010, alors que nous sommes menacés par une crise climatique majeure, que l'on sort tout juste du désastre économique le plus énorme du siècle, que les inégalités explosent, que les situations sociales empirent de manière dramatique, et que notre gouvernement pense à déchoir la nationalité des exciseurs, je tique. Mais quand je vois qu'en 2010, alors que la culture, la philosophie, la science, le savoir, sont censés être au centre de nos valeurs, et que notre gouvernement réfléchit à la meilleure façon de récupérer les voix du FN, en attisant la peur, l'ignorance, le simplisme, je ne tique plus, j'explose.

Au Chili, un gars vient d'être élu à la présidence du pays. Miguel Juan Sebastián Piñera Echenique. Une des fortunes les plus importantes d'Amérique Latine. Le type entretient des rapports... disons... ''controversés'', bel euphémisme, avec les médias. A croire que sieur Berlusconi fait des émules. L'homme s'est fait élire sur un programme de valeurs conservatrices, mais alors, bien conservatrices. A titre d'information, le droit au divorce est légal au Chili depuis... 2004. Outch. Alors, pas besoin de préciser que, en élisant ce type de représentant direct de valeurs directement pompées sur la morale catholique, tout droit à l'avortement est repoussé aux calendes grecques. Par exemple. Et je ne parle même pas de mariage homosexuel, ou autre liberté fondamentale ainsi niée (oui, je suis ultra-pro-mariage gay, comme l'adoption d'ailleurs. Les gens ici, moins).

Quand on voit la direction prise par deux nations, qui s'opposent en tout (géographie, culture, logique démocratique, place de la religion...), c'est-à-dire la même perspective, celle d'un conservatisme exacerbé, brandi, affiché, revendiqué, on peut se dire que le monde continue sa course vers l'abîme. Mais ce qui m'inquiète n'est pas tant le principe de ces valeurs (morales, sécuritaires, néolibérales), sinon l'apathie totale avec laquelle les citoyens regardent passer ces changements. Une discussion m'opposait il y a peu avec un ami gauchiste, sur le fait de savoir si les excès de notre société actuelle restaient possibles parce que la répression tombait sur ses détracteurs, ou si la société civile était tout simplement devenue apathique face à toute action politique, aussi nauséabonde soit-elle. Je crois malheureusement que les deux s'enclenchent et s'emboitent parfaitement aujourd'hui, dans notre bel Hexagone.

Un homme, dont j'ai oublié le nom, disait: ''on a toujours l'air plus intelligent quand on est pas d'accord'' (c'était sans doute au Masque et la Plume, mais passons). C'est sans doute vrai. Et pourtant. La société française que je vois aujourd'hui n'a ni l'air intelligente, ni d'accord, ni rien. Juste neutre face à la démagogie sécuritaire extrêmement inquiétante d'un gouvernement en perdition, qui menace la liberté de la presse, qui associe immigration et délinquance, qui tape sans solutions. Etant pragmatique, parfois cynique, je pourrais comprendre les principes qui régissent actuellement les actes politiques français si ceux-ci avaient un sens intellectuel, une base réfléchie, ou étaient orientés par un projet précis. Si ces actes avaient un sens.


Quand Don Quichotte part se battre contre des moulins à vent, il ne perd pas. Il se crashe. Il invente un problème, fait une démonstration de force, puis remonte à cheval. C'est la politique de Nicolas Sarkozy actuellement. Aujourd'hui, rien n'est projet, rien n'est futur. Rien n'est préparé. J'irais même jusqu'à dire que rien n'a vraiment de sens dans ce que fait le gouvernement français. Tout n'est qu'action au jour le jour, démonstration de force, grandes envolées réactionnaires. Et, année après année, on remonte sur le cheval. Et je suis inquiet. Très inquiet.

Je laisse à la libre-appréciation de ces hommes dangereux le soin d'une relecture de Kant. Vite.

''Tant il est dangereux de semer des préjugés ! Car ils finissent par retomber sur leurs auteurs ou sur les successeurs de leurs auteurs. (…) Mais j'entends crier de toutes parts: ne raisonnez pas. L'officier dit: ne raisonnez pas, mais exécutez ; le financier : ne raisonnez pas, mais payez ; le prêtre: ne raisonnez pas, mais croyez.''

E. Kant, Qu'est-ce que les Lumières ?, 1784


Que le monde serait bon et beau si l'Homme s'en tenait à la maxime de Horace.

''Ose penser !''


Tudy

lundi 9 août 2010

''J'ai connu un mec de droite une fois, il avait dix fois plus de classe''.

Après le scandale de mon article précédent, j'ai compris que personne ne cherchait l'originalité. Je suis donc revenu à mes fondamentaux.

Ci-dessous: vidéo du silence assourdissant décrit infra d'une chaîne de montagnes située non loin de Valpo (vous remarquerez, à partir de la seconde 13', un gros plan sur la Cordillère des Andes).

Presque deux semaines désormais que je respire l'air chilien, que je vis à l'heure latine, que je me réveille dans un froid glacial, m'habille en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, et vais arpenter les collines, les rues, les escaliers escarpés de la Vallée du Paradis. Mais j'fais quand même d'autres trucs, bordil ! Et la vie y est aussi douce qu'inattendue. Illustrations.


Samedi dernier. Pendant que certains de mes collègues étaient occupés à refaire le monde, à faire de la botanique, ou que sais-je encore, j'étais à un concert ''en la casa'' de mes artistes de voisins. Deux marionnettistes, une peintre, un saxophoniste, un accordéoniste, un bassiste. L'ensemble du répertoire musical hispanique est passé à la moulinette, depuis ''Quizas, quizas, quizas'', jusqu'aux chansons les plus improbables sur Valparaiso, et son port légendaire. Les cinq personnes du public sont conquises, l'ambiance est bonne, les chansons s'enchainent avec un naturel désarmant. Et soudain, je me rends compte que se tient à ma droite un homme, qui avait, avouons-le, un certain âge, sinon un très certain âge. Petit, presque trapu, les cheveux blancs, longs, avec une barbe non moins conséquente, il écoute le concert, en tournant un brin de l'oeil. Simon et moi prenons au moins une dizaine de minutes pour savoir s'il ressemble plus à Augusto Pinochet ou à Karl Marx. Nous finissons d'un commun accord par dire qu'il ressemble en fait à Fredrich Engels. Au bout de quelques chansons, il se lève, s'accroche à un poteau, et danse autour. True story. Le type a environ 75 piges, et fait à ce brave poteau un lap-dance digne de celui de Boulevard de la mort. Il s'arrête, nous regarde, et commence à déclamer un poème, ou une histoire, j'avoue que mon niveau linguistique ne permet pas encore ce type de discernement, qui se finit sur la phrase suivante (de mémoire): ''si no te encanta Chile, es que no tiene corazón !'' (si le Chili ne t'enchante pas, c'est que tu n'as guère de coeur...). Applaudissements. Scène surréaliste. Le vieil Antonio, ou Engels, comme vous préférez, se rassoit. J'en reste pantois. La musique reprend, les trois monstres musicaux nous régalent avec une interprétation del Cuarto de Tula de Buena Vista Social Club. Enchantement total. Désarmement non moins complet.

Est aussi apparu mon nouveau colocataire, qui remplace mon couple australiano-chilien tant aimé, parti faire du rafting, et, accessoirement, trouver du taf, à Santiago: Hubert est français, et vient de l'ESC Montpellier. Le type fait deux fois ma taille, probablement trois fois mon poids (c'est d'ailleurs, entre autres, la raison pour laquelle je n'entretiens que des relations hautement cordiales avec lui). Il revient tout juste d'un périple époustouflant. Le gars, après six mois de stage au Canada pour ses études, décide de ne pas rentrer en Europe, descend en Amérique du Sud, et fait le tour de l'Argentine, puis de la Bolivie... à vélo. Le rêve. Seul face à l'immensité continentale sud-américaine, il voyage d'un village à l'autre, pour enfin arriver au Chili. Et comme si cela n'était pas déjà assez, il passe une année entière à Valparaiso. Notre Che à nous, mais en blond.

La journée d'hier. Lever à 7h30, rendez-vous à 8h30 sur la plaza Ecuador. Une douzaine de personnes (Chili, Espagne, France, Colombie). Départ en métro (qui, par ailleurs, roule entre les montagnes, ce qui, convenons-en, change du paysage souterrain de Paris, néanmoins sympathique), suite en autobus (qui, sur ma vie, réalise le souhait des Inconnus, et fait du 160 sur les trottoirs. L'AVC n'était pas loin, je le garantis). Depuis un bled perdu entre deux montagnes, randonnée dans un parc national du coin. Nous sommes douze néophytes de l'Andisme, les Européens en surnombre, et l'on se farcit quelques deux heures et demi de montée, pour arriver à un point de vue magique. Un silence de cathédrale. De la pierre sur laquelle nous sommes, Darwin aurait dit, selon la légende, qu'il était à un endroit d'où il pouvait ''voir à la fois la Cordillère des Andes, et le Pacifique''. Un siècle et demi plus tard, je peux confirmer qu'il avait raison. Nous revenons terriblement fatigués, et encore plus heureux.

La soirée tout juste terminée. Un repas mis en place à l'arrache, entre deux journées de cours où je potasse, en espagnol, les idées de Bottomore ou de Marx (parenthèse ici. Une des choses les plus impressionnantes de la logique intellectuelle sud-américaine est la place, absolument colossale, laissée à la pensée marxiste dans tous les cours auxquels j'assiste. Auteur conspué, dépassé, dans notre système éducatif, il est ici LA référence première de tout cours. Politique, sociologie, philosophie historique... De quoi faire réfléchir sur la relativité de ces auteurs dits ''classiques''. Mais passons): mes proprios, une fois n'est pas coutume, organisent un barbecue sur leur terrasse. Le feu du barbecue crépite, les coeurs s'enchantent, les discussions s'enchainent, quand bien même certains (Tudy Bernier, pour ne pas le nommer) ont du mal à exprimer leurs idées hautement philosophiques en castillan. Mais qu'importe ? La soirée est excellente, les relations plus qu'amicales, l'ambiance générale fondante. Nous parlons d'histoire chilienne, de politique, de valeurs religieuses, d'anarchie, de la gauche, de la linguistique, du silence, du football, de l'argent, des études, de bananes. Le sourire ne quitte pas mes lèvres.


Tudy


NB: Vous en voulez encore ? Ma prose ne vous suffit pas ? Vous pensez que je suis incapable de rendre compte de la réalité qui m'entoure, c'est ça ? Pour les plus fondus d'entre-vous, les albums photos de ces aventures seront bientôt en vente... heu... disponibles sur Tête-de-livres (Facebook, pour les quelques crétins des Alpes qui n'ont pas capté ma, une fois encore, super blague).


''Je ne suis là pour Bergson''.


Exclusivité ! M. Bernier, par manque de temps, n'a pas eu le temps d'écrire. Du coup, histoire de, il balance un p'tit jeu pour faire patienter ses innombrables lecteurs (existent-ils, d'ailleurs ?). Ouééé ! On va bien s'amuser !

Un supér-jeu, donc.

Mais qu'abrite donc, dis donc, cette petite maisonnette sympathique ?


A. Un criminel nazi réfugié au Chili, ayant fait fortune dans le commerce de Svastikas.


B. La maison d'enfance d'Augusto Pinochet (on peut d'ailleurs y découvrir son nounours lacéré après une discussion houleuse sur l'avenir de l'économie planifiée).


C. Le Q.G, très bien caché, des services de renseignements chiliens.


D. La reproduction exacte de ma grand-mère (dingue, non ?).


E. Ceci n'est pas une maison, c'est une pomme bien camouflée.


F. Rien, on se fout de notre gueule, cette photo a été prise en Bavière.


G. Non, en fait, c'est l'appart' d'un de mes potes, Jean-Abdelkader.


H. La faculté de Sociologie de l'Université de Valparaiso, dans laquelle on s'amuse comme des petits fous.


Attention, aucune de ces réponses n'est exacte. Sauf la H. Oh, bordel, j'ai donné la réponse.

mercredi 4 août 2010

''Le drame de notre temps, c'est que la bêtise se soit mise à penser''




Ci-dessus (Rendons à César, ou à Woerth (putain, j'suis vraiment trop marrant, mais que pour ceux qui lisent Libération), ce qui leur appartient !):


- Photo du Pasaje Fischer, ma rue d'adoption.

- Planche de Tintin au Congo, Hergé, 1931. Reproduite sans les droits de l'auteur. Paix à son âme.

- La citation qui donne son nom à cet... à ce... enfin, à ce truc que vous lisez, est de Jean Cocteau.


''Remplir le vide par du vide''.

Remplir le vide. Evaluation écrite lundi. Matérielle. Questions classiques, presque stupides: ''describe tu familia con verbos al presente...''. Sentiment blasé. Ai rempli le test quand même. Supposé définir mon niveau d'espagnol. Supposé utiliser le conditionnel.

Remplir le vide. Vingt Français dans la salle. Ecole de commerce. Types classiques, pas drôles, bien français. L'un d'entre eux aurait dit (remarquez l'utilisation réfléchie du conditionnel): ''les Chiliens ne se lavent tellement pas les cheveux, qu'on dirait qu'ils ont des dreads-locks. Je ne sais pas comment vous faites pour partager votre baignoire''. Envie de vomir. Okay, ce qui va suivre est facile, trop facile, mais ça me fera du bien. Mais Vas-y, Vas respirer l'air de la bonne vieille colonie, utilise tes grosses bottes, prends une grosse jeep, et vas faire un petit safari, pour chasser le lion, et voir la faune locale à travers la fenêtre de ton bus, histoire de pas te faire attaquer par ces indigènes, espèce de néo-colonianisto-éthnocentriste ! Et ne sors surtout pas une seconde la tête de ton trou pour respirer l'air de l'ailleurs. Allez, petite provoc' pour la route. Je pousse le vice jusqu'à vous faire savourer l'immortalisation la plus drôle, sans doute la plus atroce, à mes yeux, du colonialisme belge au Congo.


''Changer le tout, créer du vide''.

Changer le tout. ¡ Radio Placeres, independiente y alternativa ! Je suis branché, désormais assez régulièrement, sur une radio alternative de Valparaíso, et, en fait, du Chili en général. Gauchiste. Radio Placeres est une radio sortie d'un autre âge. Ça parle toute la journée de l'oppression du peuple Mapuche (indiens natifs du nord du pays), des responsables politiques coupables de crimes durant la dictature de Pinochet, de la main-mise du pouvoir chilien sur la presse. J'ai l'impression d'écouter une onde pirate des années 1970. Le présentateur parle avec une voix rauque, un accent à couper au couteau. Il parle de communisme, puis enchaîne avec une chanson des Clash. Cette onde m'apparaît comme la création ex-nihilo de l'esprit romantique chilien tant recherché.


''Faire le vide, voir le tout''.

Faire le vide. Assis sur un paseo qui dégage une poésie incroyable, contemple le port de Valparaíso. Frégates et bateaux de commerce jouent des coudes pour se trouver une place. Température, comme toujours, extrêmement fraîche. Respiration courte, tête pleine.


''Création depuis le vide''.

Création. Paseo Yougoslavo. En bas, la ville remue, grouille, s'active. Seul un vent frais vient rappeler la poésie qui toujours régit l'âme de cette ville à la dérive. Les maisons couvrent le paysage, le bruit urbain embaume et gâche la douceur naturelle de l'endroit. Les feuilles dansent devant moi comme les rescapées d'un naufrage commencé des siècles plus tôt.


Dans l'urbanisme fou, la démence actuelle,

La ville se débat, à l'ombre des montagnes.

Dans ce siècle malade, une cité trop belle

Cherche à créer, et boit pour échapper au bagne.


Dans un millénaire las, où l'homme ne voit plus,

Valparaíso est là, et attend patiemment

Que depuis les gravas d'un monde qui s'est tu,

Renaissent les espoirs et les égarements.


Âme déchue et morte, tu sombres avec eux

Dans l'abîme funeste, tu meurs de t'en repaître.

Quand réaliseras-tu, en attisant ce feu,

Que ton rôle est celui de tous nous faire renaître ?


Création du vide.

Promis, la prochaine, je recommence à parler avec des vraies phrases. Sujet, verbe, complément. Tout.

Tudy