Comme dirait J.P Sartre, me voici en une nouvelle Situation. Fin de la carte postale. Fin du mythe d'une Amérique Latine magnifique, parfaite. Récit dans la fin d'une illusion. Cela devait arriver, je suppose.
Il est 5h00 du matin à Valparaiso. Je rentre chez moi, effectivement, un brin insouciant des dangers qui me menacent. C'est la première fois que je rentre si tard. Et je ne vais pas être déçu de l'expérience.
Marche-arrière. Le principe de cette soirée était le suivant: entouré par mes gracieuses amies basques (elles sont partout, décidément), je connaissais pour la première fois le goût du poteo, principe espagnol de pochtron, qui équivaut à peu près à notre barathon français. On parle, on écoute du Didgeridoo, on change de bar, on commande trop de cervezas, on assiste à un concert (d'un groupe reprenant toutes les musiques de Pulp fiction. Magique), on termine la soirée dans une discothèque de la ville. Soirée quasiment parfaite. Trop tard, bien trop tard, nous décidons de rentrer. Arrivées à deux rues de chez moi, les filles me disent qu'elles veulent prendre le taxi pour rentrer, pour plus de sécurité. Moi, grand seigneur: ''Non, arrêtez, vous allez pas payer pour un taxi, je vous accompagne si vous voulez... mais il n'y a strictement aucun risque''. Ahah. Les filles insistent, et je disparais pour rentrer dormir, enfin. Sachez qu'entre le moment où je les quitte, et mon chez moi, il y a environ... allez, soixante mètres à parcourir, à tout casser. 45 secondes de trajet.
Une femme derrière moi me demande l'heure. Je la lui donne. ''Il est 5h08, mademoiselle'' (dans un castillan approximatif, sans doute). Ce que je ne remarque pas, à cette heure tardive, c'est que cinq autres personnes la suivent. Je suis pourtant devant ma porte d'entrée, avec la ferme intention de l'ouvrir. Et là, en une seconde, elle me prend mon portable des mains (il faut vraiment que j'arrête d'être poli dans la rue. Satanée éducation des parents !). Elle me demande mes thunes, ce que je refuse, évidemment, immédiatement (et sans doute parce que j'avais l'équivalent de 15 centimes sur moi, ce qui aide). Le temps que je tourne la clé dans la serrure, les connards, parce qu'il s'agit bien de vrais connards (un portable à 5€ hors-forfait... merci à eux d'agir de la sorte), se carapatent. Les saligauds attaquent à l'aide d'une femme (qui, dans mon imaginaire stupide et conditionné par une société patriarcale, ne me menace en rien), et repartent en courant, mon portable sans valeur aucune dans les mains. Putain. Je commence à courir, puis, après deux escaliers, j'abandonne. Mon coloc' (vous savez, le type de deux mètres qui vit avec moi) se précipite à la fenêtre, et m'interpelle, interloqué. Je ne suis capable de rien dire. Ou du moins d'intelligent. ''De puta madre, j'viens de me faire tirer mon portable, gars''. Il sort dans la rue en caleçon. Scène grotesque. Les gars se sont déjà évanouis dans la nuit de Valparaiso.
Je réfléchis, assis dans mon couloir. Rien. Je suis crevé, un brin saoul, vanné. La théorie d'un de mes amis est de dire qu'il est une loi universelle à Valparaiso: toute personne doit se faire agresser au moins une fois. C'est une sorte de rite de passage. C'est drôle qu'il existe l'exacte même tradition à Moulins et à Wazemmes. Je pose mon passeport (que j'avais emporté avec moi, ou plutôt que j'avais oublié de reposer, après un passage administratif à l'Université... Franchement, Bernier, achète-toi un cerveau), mon portefeuille, tout ce que j'ai sur moi, et je repars dans la rue, désespéré. Alors que je sois bien clair: ceci était stupide. Ce n'est pas pour la valeur du téléphone qu'un homme fait ce genre de choses (il ne valait vraiment que dalle). C'est par orgueil, c'est par principe. J'arpente les rues, ma capuche sur les yeux. Furieux. Evidemment, je ne trouve personne. Je me sens impuissant. Je retrouve la raison, et je rentre chez moi. J'irais me racheter un portable.
Je les collectionne. Mais l'illusion une fois brisée, je peux désormais me concentrer sur autre chose qu'une carte postale. Ni formaté, ni aseptisé, Valparaiso est un lieu de vie. Dangers ou pas, risques ou non. Je suis prévenu. Reste aujourd'hui un goût amer d'une soirée parfaite mal terminée. Je me console avec un Balzac pessimiste. Mais tout ira bien, à l'avenir. Je suis confiant.
''L'amour a ses intuitions, comme le génie a les siennes, et je voyais confusément que la violence, la maussaderie, l'hostilité ruineraient mes espérances''.
Balzac, Le Lys dans la vallée
Tudy