Après le scandale de mon article précédent, j'ai compris que personne ne cherchait l'originalité. Je suis donc revenu à mes fondamentaux.
Ci-dessous: vidéo du silence assourdissant décrit infra d'une chaîne de montagnes située non loin de Valpo (vous remarquerez, à partir de la seconde 13', un gros plan sur la Cordillère des Andes).
Presque deux semaines désormais que je respire l'air chilien, que je vis à l'heure latine, que je me réveille dans un froid glacial, m'habille en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, et vais arpenter les collines, les rues, les escaliers escarpés de la Vallée du Paradis. Mais j'fais quand même d'autres trucs, bordil ! Et la vie y est aussi douce qu'inattendue. Illustrations.
Samedi dernier. Pendant que certains de mes collègues étaient occupés à refaire le monde, à faire de la botanique, ou que sais-je encore, j'étais à un concert ''en la casa'' de mes artistes de voisins. Deux marionnettistes, une peintre, un saxophoniste, un accordéoniste, un bassiste. L'ensemble du répertoire musical hispanique est passé à la moulinette, depuis ''Quizas, quizas, quizas'', jusqu'aux chansons les plus improbables sur Valparaiso, et son port légendaire. Les cinq personnes du public sont conquises, l'ambiance est bonne, les chansons s'enchainent avec un naturel désarmant. Et soudain, je me rends compte que se tient à ma droite un homme, qui avait, avouons-le, un certain âge, sinon un très certain âge. Petit, presque trapu, les cheveux blancs, longs, avec une barbe non moins conséquente, il écoute le concert, en tournant un brin de l'oeil. Simon et moi prenons au moins une dizaine de minutes pour savoir s'il ressemble plus à Augusto Pinochet ou à Karl Marx. Nous finissons d'un commun accord par dire qu'il ressemble en fait à Fredrich Engels. Au bout de quelques chansons, il se lève, s'accroche à un poteau, et danse autour. True story. Le type a environ 75 piges, et fait à ce brave poteau un lap-dance digne de celui de Boulevard de la mort. Il s'arrête, nous regarde, et commence à déclamer un poème, ou une histoire, j'avoue que mon niveau linguistique ne permet pas encore ce type de discernement, qui se finit sur la phrase suivante (de mémoire): ''si no te encanta Chile, es que no tiene corazón !'' (si le Chili ne t'enchante pas, c'est que tu n'as guère de coeur...). Applaudissements. Scène surréaliste. Le vieil Antonio, ou Engels, comme vous préférez, se rassoit. J'en reste pantois. La musique reprend, les trois monstres musicaux nous régalent avec une interprétation del Cuarto de Tula de Buena Vista Social Club. Enchantement total. Désarmement non moins complet.
Est aussi apparu mon nouveau colocataire, qui remplace mon couple australiano-chilien tant aimé, parti faire du rafting, et, accessoirement, trouver du taf, à Santiago: Hubert est français, et vient de l'ESC Montpellier. Le type fait deux fois ma taille, probablement trois fois mon poids (c'est d'ailleurs, entre autres, la raison pour laquelle je n'entretiens que des relations hautement cordiales avec lui). Il revient tout juste d'un périple époustouflant. Le gars, après six mois de stage au Canada pour ses études, décide de ne pas rentrer en Europe, descend en Amérique du Sud, et fait le tour de l'Argentine, puis de la Bolivie... à vélo. Le rêve. Seul face à l'immensité continentale sud-américaine, il voyage d'un village à l'autre, pour enfin arriver au Chili. Et comme si cela n'était pas déjà assez, il passe une année entière à Valparaiso. Notre Che à nous, mais en blond.
La journée d'hier. Lever à 7h30, rendez-vous à 8h30 sur la plaza Ecuador. Une douzaine de personnes (Chili, Espagne, France, Colombie). Départ en métro (qui, par ailleurs, roule entre les montagnes, ce qui, convenons-en, change du paysage souterrain de Paris, néanmoins sympathique), suite en autobus (qui, sur ma vie, réalise le souhait des Inconnus, et fait du 160 sur les trottoirs. L'AVC n'était pas loin, je le garantis). Depuis un bled perdu entre deux montagnes, randonnée dans un parc national du coin. Nous sommes douze néophytes de l'Andisme, les Européens en surnombre, et l'on se farcit quelques deux heures et demi de montée, pour arriver à un point de vue magique. Un silence de cathédrale. De la pierre sur laquelle nous sommes, Darwin aurait dit, selon la légende, qu'il était à un endroit d'où il pouvait ''voir à la fois la Cordillère des Andes, et le Pacifique''. Un siècle et demi plus tard, je peux confirmer qu'il avait raison. Nous revenons terriblement fatigués, et encore plus heureux.
La soirée tout juste terminée. Un repas mis en place à l'arrache, entre deux journées de cours où je potasse, en espagnol, les idées de Bottomore ou de Marx (parenthèse ici. Une des choses les plus impressionnantes de la logique intellectuelle sud-américaine est la place, absolument colossale, laissée à la pensée marxiste dans tous les cours auxquels j'assiste. Auteur conspué, dépassé, dans notre système éducatif, il est ici LA référence première de tout cours. Politique, sociologie, philosophie historique... De quoi faire réfléchir sur la relativité de ces auteurs dits ''classiques''. Mais passons): mes proprios, une fois n'est pas coutume, organisent un barbecue sur leur terrasse. Le feu du barbecue crépite, les coeurs s'enchantent, les discussions s'enchainent, quand bien même certains (Tudy Bernier, pour ne pas le nommer) ont du mal à exprimer leurs idées hautement philosophiques en castillan. Mais qu'importe ? La soirée est excellente, les relations plus qu'amicales, l'ambiance générale fondante. Nous parlons d'histoire chilienne, de politique, de valeurs religieuses, d'anarchie, de la gauche, de la linguistique, du silence, du football, de l'argent, des études, de bananes. Le sourire ne quitte pas mes lèvres.
Tudy
NB: Vous en voulez encore ? Ma prose ne vous suffit pas ? Vous pensez que je suis incapable de rendre compte de la réalité qui m'entoure, c'est ça ? Pour les plus fondus d'entre-vous, les albums photos de ces aventures seront bientôt en vente... heu... disponibles sur Tête-de-livres (Facebook, pour les quelques crétins des Alpes qui n'ont pas capté ma, une fois encore, super blague).
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